L’Alsace-Moselle connaît un anachronisme concordataire anti-républicain désormais rejeté par une majorité de personnes : le sondage IFOP commandité par le Grand Orient de France montre qu’une majorité de concitoyens sont favorables à l’abrogation du régime dérogatoire en vigueur en Alsace-Moselle et qui concerne le Concordat : ensemble de la France, 78 % et Alsace-Moselle, 52 % pour l’abrogation du Concordat ! La sortie et, à terme l’abrogation du Concordat, et la suppression des lois antirépublicaines sont inéluctables et indispensables.
Un parallèle avec la proposition de loi sur le droit à choisir sa fin de vie bloquée à l’Assemblée nationale
Abrogation du Concordat et lois d’émancipation – telles que la liberté d’utiliser des contraceptifs, l’IVG, le mariage des personnes de sexe différent ou le droit de choisir sa fin de vie, sont des combats identiques
De même que la laïcité permet à aux êtres humains de se libérer des dogmes religieux, de même que la loi sur l’IVG a permis aux femmes de s’émanciper des dogmes religieux et du patriarcat et de disposer totalement de leurs corps, cette proposition de loi pour établir le droit à une fin de vie libre et choisie serait une loi d’émancipation digne de nos principes républicains en garantissant à chacun et chacune la possibilité de disposer de sa fin de vie, de faire droit à l’aspiration à se commander soi-même. Lois qui n’enlèvent rien à celles et ceux, notamment croyants, qui considèrent que leurs croyances les obligent à ne pas utiliser de contraceptifs, à donner la vie quelles qu’en soient les circonstances, à ne pas abréger ses souffrances…
Or Emmanuel Macron ne serait-il pas tenu par ses déclarations à l’occasion de la conférence des évêques de France aux Bernardins le 9 avril 2018 ? A l’encontre des principes de laïcité et d’égalité de tous indépendamment de leurs options spirituelles, il affirmait : « …nous partageons confusément le sentiment que le lien entre l’Eglise et l’État s’est abîmé, et qu’il nous importe à vous comme à moi de le réparer… » et ajoutait : « la République attend beaucoup de vous. Elle attend très précisément si vous m’y autorisez que vous lui fassiez trois dons : le don de votre sagesse ; le don de votre engagement et le don de votre liberté… »
On mesure mieux aujourd’hui la portée de ce « pacte » : la faveur faite à l’Eglise catholique sous forme de reconnaissance particulière a pour contrepartie évidente l’espoir de conserver et de capitaliser le plus possible l’électorat dit catholique situé à droite. On comprend mieux alors que, afin de préserver ce capital jusqu’en 2022, il renonce à donner suite à la proposition d’Olivier Falorni sur « le droit à une fin de vie libre et choisie » malgré les sondages, de même qu’il doit rester insensible au glissement d’opinion révélé par celui de l’IFOP sur le Concordat. .
La laïcité doit protéger et les croyants et les non croyants
Comme l’a dit Aristide Briand : « L’État n’est pas antireligieux, il est areligieux. »
La loi de 1905, fragilisée par divers manquements à ses principes comme l’accord avec le Vatican en 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy (qui confère aux autorités ecclésiastiques le pouvoir contestable de délivrer des grades et diplômes français en lieu et place de l’État), cette loi de 1905 doit être rétablie sur tout le territoire pour empêcher la marginalisation des athées, des agnostiques et des indifférents qui représentent les 2/3 de la population de France ainsi que des religions minoritaires.
Ces derniers temps le Concordat défraye la chronique avec une subvention publique colossale pour l’érection d’un lieu de culte, en l’occurrence une mosquée à Strasbourg (voir dans ce journal), le même cas de figure s’étant produit à Mulhouse il y a quelques années.
Le problème n’est pas tant l’obédience plus ou moins intégriste des responsables des différents projets que l’entorse faite à la loi de séparation des églises et de l’État, entorse favorisée par le régime concordataire demeuré en vigueur en Alsace-Moselle.
Ce régime dérogatoire issu du Concordat napoléonien du début du XIXe siècle est un véritable anachronisme qui aurait dû être abrogé une première fois au lendemain de la Première Guerre mondiale et une deuxième fois au lendemain de la Seconde Guerre mondiale si les gouvernements de l’époque avaient eu le courage de défendre réellement les principes républicains.
Anachronisme scolaire
Un autre anachronisme fait injure aux progrès de l’esprit humain. Il s’agit du maintien de la loi scolaire « Falloux » qui impose l’enseignement de la religion catholique, protestante et judaïque dans les écoles publiques d’Alsace-Moselle.
Victor Hugo qui voulait l’État chez lui et l’Eglise chez elle, lors du vote de la loi « Falloux » en 1850, avait pourfendu son propre parti [1] : « Je ne veux pas vous confier l’enseignement de la jeunesse, l’âme des enfants, le développement des intelligences neuves qui s’ouvrent à la vie, l’esprit des générations nouvelles, c’est-à-dire l’avenir de la France. Je ne veux pas vous confier l’avenir de la France : parce que vous le confier ce serait vous le livrer. »
La Commune en 1871 avait, quant à elle, poursuivi la volonté des Conventionnels et été précurseur des lois scolaires de 1881 et 1882 en donnant mission à l’enseignement public « de veiller à ce que, désormais, la conscience de l’enfant fût respectée et de rejeter de son enseignement tout ce qui pourrait y porter atteinte… C’est surtout dans l’école qu’il est urgent d’apprendre à l’enfant que toute conception philosophique doit subir l’examen de la raison et de la science. » (Journal officiel du 12 mai 1871.) C’est ainsi que dans les écoles publiques en Alsace-Moselle, comme dans le reste du territoire, l’enseignement religieux doit être remplacé par une présentation et une étude, sous une forme laïque et non doctrinale, de toutes les conceptions métaphysiques athées, agnostiques, religieuses, des controverses de l’Antiquité à nos jours, étude contribuant à former, forger, consolider l’esprit critique indispensable à toute république.
Malgré des évolutions positives comme la possibilité de demander une dispense de ces cours par les parents, comme le fait de ne plus être inscrit d’office dans ces cours, il n’en reste pas moins que la norme serait de suivre ces cours et que ceux qui ne les suivent pas seraient « hors normes ». Cela est un déni du principe de traitement équitable par la République de toutes les options spirituelles athées, agnostiques ou religieuses.
Autre anachronisme : depuis la Révolution française, depuis la Commune de Paris, et comme l’a confirmé la loi du 9 décembre 1905, « Nul citoyen ne doit être obligé de financer un culte qui n’est pas le sien ». « Tous les budgets des cultes y sont supprimés car les religions doivent vivre des seules contributions de leurs fidèles. » et non de l’impôt public. Tout cela vole en éclats avec la rémunération des ministres du culte (catholiques, luthériens, calvinistes, israélites), des intervenants en cours de religion (catholiques, luthériens, calvinistes, israélites – niveau de rémunération équivalent à celui d’un professeur des écoles).
Un site religieux haut-rhinois financé sur fonds publics
Une autre atteinte aux principes de la République, qui tient non pas du Concordat mais de la volonté d’une majorité d’élus locaux, est le financement public et la gestion par des agents du département d’un site religieux. Selon le mot de présentation du Président du Conseil départemental du Haut-Rhin en juillet 2020, la CEA issue de la fusion du Haut-Rhin n’étant pas encore installée, « un fond financier interreligieux a ainsi été créé en 2019 pour permettre aux nombreuses actions de pouvoir se dérouler dans les meilleures conditions. De même, une élue départementale a accepté une délégation pour cette importante thématique qu’est le dialogue interreligieux. Avec la mise en place d’un « Carnet de citoyenneté et de dialogue intercultu(r)el » pour les élèves des collèges où une douzaine de formats sont proposés, ce site Internet vient appuyer la volonté politique du Département du Haut-Rhin pour que, en terre de Concordat, toutes les actions en faveur d’un meilleur Vivre Ensemble soient soutenues. »
Il n’est pas question de critiquer la volonté des différentes confessions religieuses de dialoguer et de mieux se comprendre. Cependant, il n’est pas du ressort d’une collectivité territoriale de financer par les impôts payés par tous les contribuables ces actions interreligieuses pudiquement désignées « intercultu(r)el ». Cela ajoute une touche supplémentaire à la mise en cause du principe selon lequel « Nul ne doit être obligé de financer un culte qui n’est pas le sien ».
Hypocrisies
Il s’agit de celles du gouvernement et de ceux qui font profession de laïcité pour se refaire une virginité en voulant combattre le communautarisme tout en promouvant les causes !
Depuis plusieurs décennies, sous les coups de boutoir du néolibéralisme et de ses promoteurs gouvernementaux ainsi que de l’Union européenne, l’injonction de réduire les dépenses publiques en sacrifiant ou en diminuant les moyens des services publics comme les hôpitaux, les écoles, les centres de vacances, les lieux de culture populaire tels que MJC et centres sociaux poussent les habitants des quartiers sensibles vers les associations communautaristes religieuses pour organiser les aides aux devoirs, le soutien scolaire, pour permettre aux enfants de familles pauvres de partir en vacances qui sont autant d’occasions pour endoctriner et manipuler des esprits en formation.
Pour Bossuet, selon une citation qui lui est attribuée, « Dieu se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu’ils en chérissent les causes. [2]» Nous pouvons remplacer « Dieu » par la « raison » ou la « logique ».
N’est-ce pas ce que nous pouvons constater avec des ministres et un président qui se désolent de la fragmentation de notre société, de la montée des « communautarismes » et qui dans le même temps souscrivent aux réformes qui les favorisent ?
Qu’est-ce que le communautarisme que nous devons combattre ?
« Le communautarisme, dit Jean-Luc Mélenchon en 2020, ce n’est pas la pratique d’une communauté. Nombre de Français participent à des communautés de toutes sortes et pas seulement religieuses. Le communautarisme – celui qui est à combattre – c’est précisément quand une communauté décide que les règles qu’elle veut s’appliquer à elle-même s’appliquent contre les lois et en dépit de ce qu’en pensent les membres de cette communauté. Le communautarisme est notre adversaire en toutes circonstances. »[3]
La laïcité de l’État doit ainsi préserver les personnes des enfermements dans une communauté, des assignations à résidence spirituelle en leur permettant de changer, de renoncer à certaines pratiques sans être inquiétées. La laïcité n’est pas une opinion mais le droit d’en avoir une. La seule communauté qui doit être défendue est la communauté nationale qui fait peuple.
Neutralité de la puissance publique et bien commun
Rappelons que la puissance publique dont les recettes proviennent des contributions de tous les habitants athées, agnostiques, croyants ou indifférents aux religions doit financer ce qui relève du bien commun, de l’intérêt général et non les options spirituelles particulières. Ce bien commun concerne : les hôpitaux, les services de secours ; les écoles publiques où on accueille tout le monde sans distinction de condition et sans caractère propre, cache-sexe d’un projet éducatif religieux, la police garante de la tranquillité publique, la justice garante de l’égalité des droits…
La puissance publique doit garantir l’égalité de droit sans distinction de conviction. Les privilèges publics accordées aux religions doivent cesser en Alsace-Moselle et dans les autres départements ultramarins concernés : rémunération des ministres du culte, enseignement religieux dans les écoles publiques et rémunération des catéchistes, entretien et financement public des bâtiments religieux…
Combat laïque et combat social : en oubliant l’un on affaiblit l’autre, et vice versa
La République doit être laïque et sociale. Le volet social est depuis longtemps oublié. Nous voyons que le volet laïque est également remis en cause notamment par celles et ceux qui mettent en avant des identités restreintes (inégalités raciales qu’il faut combattre mais pas isolées du cadre socio-économique qui les créent – des « décoloniaux » qui enferment les personnes concernées dans une position de victime contre les autres également exploités par le système économique ultralibéral – les « intersectionnaux » qui ont raison de prendre en compte la situation des personnes qui cumulent plusieurs oppressions liées aux origines, aux orientations sexuelles, à leurs croyances, au milieu social… mais qui s’enlisent dans la dénonciation des principes républicains émancipateurs tel que la laïcité et l’universalisme des droits de l’être humain) au dépens de la nécessaire convergence des luttes, de l’indispensable unité du peuple.
Oublié, le volet social prive la laïcité d’une partie de sa crédibilité. Oublié, le volet laïque prive le combat social de son efficacité. La République se doit d’être à la fois sociale et laïque afin que l’individu atomisé dans la mondialisation libérale ne sente plus seul. Le système économique ultralibéral, qui se moque des États, des frontières, des règles et qui s’attaque aux solidarités et aux protections collectives, s’accommode parfaitement de cette démocratie identitaire, de ce marécage identitaire dans laquelle le particulier éclipse l’universel. Le combat laïque est aussi un combat social. En oubliant l’un on affaiblit l’autre, et vice versa. Notre société de plus en plus archipellisée assigne les gens à résidence communautaire, pain bénit de l’oligarchie qui veut maintenir le système actuel. Notre République doit créer les conditions d’un rassemblement paisible autour de principes communs. Seule la laïcité qui doit demeurer le cadre assurant le plus haut niveau de liberté qui ne doit être instrumentalisée ni par ceux qui sont obnubilés par la haine des musulmans ni par ceux qui sont marqués par une complaisance coupable et délétère à l’égard des intégrismes religieux, seule la laïcité ni ouverte ni fermée peut permettre ce rassemblement paisible, peut assurer des rapports apaisés qui n’interdisent pas les controverses argumentées. Nous devons mettre notre énergie militante au service d’une République forte, pas seulement de son autorité, mais forte aussi de son sens de la justice et de la solidarité.
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Retenons en conclusion que, alors que des positions politiques ont beaucoup évolué dans le corps électoral, on voit poindre un fossé grandissant entre ce que pensent les citoyens quand on le leur demande et les politiques de notre exécutif national. Le paradoxe vient de ce que notre exécutif national dépend du vote à la présidentielle et aux législatives des dits citoyens.
Ainsi, le corps électoral est aujourd’hui largement gagné aux propositions sur le droit de mourir dans la dignité, à l’abrogation du Concordat, comme il l’est à d’autres revendications que nous avons traitées dans ReSPUBLICA, au programme des gilets jaunes (qui ont fortement recruté chez les abstentionnistes ouvriers, employés et couches moyennes en voie de prolétarisation), aux embauches dans l’hôpital public, à l’augmentation de salaire des soignants, à l’ouverture des lieux de culture… Et pourtant, nous sommes maintenus devant le spectre d’avoir à choisir au second tour de la future présidentielle entre des candidats qui sont sur des propositions totalement contradictoires à nos aspirations profondes !
NOTES
Remerciements à Philippe Duffau.
1. Les soutiens à cette loi, dont le parti de l’Ordre, la justifiaient ainsi : « … donner au clergé tout l’enseignement primaire. Je demande formellement autre chose que ces instituteurs laïques, dont un trop grand nombre sont détestables ; … je veux rendre toute-puissante l’influence du clergé ; je demande que l’action du curé soit forte, … parce que je compte beaucoup sur lui pour propager cette bonne philosophie qui apprend à l’homme qu’il est ici pour souffrir » et ainsi maintenir le « petit peuple » dans la « soumission » à l’ordre bourgeois et capitaliste.
2. La citation authentique est celle-ci : « Mais Dieu se rit des prières qu’on lui fait pour détourner les malheurs publics, quand on ne s’oppose pas à ce qui se fait pour les attirer. Que dis-je ? quand on l’approuve et qu’on y souscrit, quoique ce soit avec répugnance. »
3. Avec à cette occasion une position plus claire ou clairvoyante que lors du soutien et la participation à la marche contre l’islamophobie du 10 novembre 2019, marche controversée de par la nature des principaux organisateurs (voir dans ce journal https://www.gaucherepublicaine.org/debats-laiques/retablissons-les-faits-sur-la-manifestation-du-10-novembre-2019/7417867) même si l’attentat contre la mosquée de Bayonne le 28 octobre 2019 doit être dénoncé et condamné avec la plus grande fermeté comme tous les actes racistes.