Ces questions sont posées de façon lancinante dans toutes les réunions publiques d’éducation populaire sur des thèmes comme le féminisme, la laïcité, le « printemps arabe », « l’évolution du monde », etc.
Et dans les discussions à l’issue des conférences publiques ou des cinédébats, beaucoup d’interventions ne peuvent se contenter des réponses traditionnelles des organisations qui se disent laïques, mais qui refusent de répondre à ces questions, ou des organisations politiques ou syndicales (et y compris dans la gauche de gauche!) qui restent souvent prisonniers d’un discours pseudoradical, mais prisonnier de l’idéologie dominante elle-même.
C’est pourquoi nous nous efforçons dans le discours du journal Respublica ou encore dans les interventions du Réseau Education Populaire (Rep) d’essayer de combler ce manque. Pour répondre à la première question, le journal Respublica a publié un article de Samir Amin qui donne des clés de compréhension de la « révolution égyptienne ». Comme vous avez pu le constater, peu d’organisations dites laïques ont repris cette analyse pourtant lumineuse. Et dans les interventions des conférenciers du Réseau Education Populaire (Rep), nous sommes presque les seuls à répondre au paradoxe des montées concomitantes de la sécularisation dans tous les pays de la planète et de l’accession au pouvoir des communautaristes (dans les pays développés) et des intégristes dans les pays du Sud.
Pourquoi sommes-nous si seuls ? Tout simplement parce que la plupart des acteurs politiques et sociaux de cette fin de règne du pli historique, ouvert dans les pays développés au 16e siècle, refusent malgré leurs bonnes intentions de comprendre les causes des phénomènes en organisant uniquement des jérémiades collectives sur les conséquences de la crise globale dans laquelle nous vivons. Comme disait le vieux barbu du 19e siècle que beaucoup ont enterré trop vite faute de l’avoir lu (y compris dans la gauche de gauche!) dans la 11e thèse sur Feuerbach: »Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe, c’est de le transformer. ». Et pour le transformer, il faut connaître les causes des phénomènes et ne pas se contenter de jérémiades sur les « méchants » au pouvoir. Ou dit autrement, c’est en se plaçant dans une perspective de transformation du monde, que l’on peut comprendre la réalité matérielle.
Ce n’est pas grâce à une version de « gôche ou d’extrême gôche » du capitalisme que l’on trouvera la solution. Pas plus dans les différentes versions des idéologies provenant du christianisme social (qui veut troquer la lutte des classes des exploités contre les exploiteurs par la lutte des pauvres contre les riches, cette dernière lutte étant voué à l’échec, car niant les vraies causes de la crise globale).
Nous continuerons donc à expliquer que le paradoxe noté plus haut ne peut se comprendre qu’en resituant cette problématique dans le logiciel de la phase actuelle du capitalisme (que nous appelons turbocapitalisme). Dans cette phase actuelle du capitalisme, nous avons une demi-douzaine de caractéristiques qui la fondent. Dans celles-ci il y a depuis plus de trente ans, une alliance en « béton armé » entre les capitalistes néolibéraux et les forces cléricales communautaristes et intégristes. Cette alliance est entre eux du gagnant gagnant.
Gagnant pour les capitalistes néolibéraux, car pour lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit il leur faut engager d’une part la déformation du partage de la valeur ajoutée et d’autre part la privatisation des profits et la socialisation des pertes de la sphère de constitution des libertés (école, système de santé protection sociale, services publics). Et tout le monde a bien compris que tout service privatisé appelle les cléricaux communautaristes (dans les pays du Nord) et intégristes (dans les pays du sud) à remplacer la solidarité de l’ensemble public de la sphère de constitution des libertés par la « charité pour les pauvres » organisées par ces forces cléricales communautaristes et intégristes.
Gagnant pour les forces cléricales communautaristes et intégristes, car malgré la sécularisation qui a tendance à faire reculer leur emprise sur les « âmes », les « pauvres » n’ont pas d’autres possibilités « pour manger, se soigner, s’insérer ou pour se faire aider, ou tout simplement pour vivre » que de soutenir ces forces cléricales communautaristes et intégristes, car les dictatures militaires ou cléricales n’ont que faire d’une école publique, de services publics, ou d’un système de santé et de protection sociale publiques.
Et cela est vrai tant dans tous les pays du Sud(dont les pays arabes et ,ou, musulmans, etc.) que du Nord (États-Unis, Europe, Israël, etc.). Voilà pourquoi les islamistes prennent le pouvoir dans les pays arabes et voilà pourquoi se développent en France les laïcités positives, ouvertes, de reconnaissance contre la laïcité tout court! Tout le reste ne relève que de la société du spectacle. Jean Jaurès avait en son temps compris que l’intérêt des couches populaires était dans les services publics, l’école publique, le système public de santé et de protection sociale. Voilà pourquoi il fut un chaud partisan de la loi de Séparation de 1905 pour enlever aux cléricaux communautaristes et intégristes la position de surplomb de l’église catholique sur cette sphère de constitution des libertés. Et oui pour aller vers l’émancipation il est nécessaire de développer cette sphère publique de constitution des libertés avec les 10 principes de la République sociale (liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, etc.). Nous publierons un livre sur ce sujet en 2013. Nous y reviendrons donc.
On voit le décalage avec la partie de la gauche et de l’extrême gauche totalement imbibé de l’idéologie communautariste qui soutient donc les alliés des néolibéraux. Rappelons-nous le Forum social européen de Londres dont le problème principal des altermondialistes fut de permettre à Tariq Ramadan de pouvoir prendre la parole dans 7 séminaires sur trois jours ce qui les a obligés de positionner d’abord les séminaires du frère musulman Tariq Ramadan en épine dorsale avant de mettre ensuite les autres séminaires! Comprenons la responsabilité de mettre à mal le service public de santé et de se contenter de promotionner les structures médicales caritatives et religieuses! Ou de se contenter de la charité institutionnalisée de la CMU en lieu et place d’un accès pour tous et partout à une prévention et des soins de qualité! La liste est longue…
Passons à la question sur l’Égypte.
La première Constitution égyptienne a été adoptée en 1882 sous la férule de Tawfiq Pacha. Puis en 1923, avec la fin de l´ère du protectorat britannique en Égypte, une nouvelle Constitution d’influence européenne a été rédigée. Cette Constitution fut en vigueur jusqu´en 1953, date de la nouvelle constitution de la révolution nassérienne des officiers libres. Elle a toutefois été suspendue par le roi de 1930 à 1935, dans le cadre de sa lutte contre le Parti Wafd.
La constitution que les Frères musulmans veulent imposer en Égypte est aujourd’hui la plus obscurantiste de l’histoire. C’est la plus islamiste des constitutions égyptiennes. Pire que la Constitution de 1971 de Sadate lui-même.
Il faut comprendre que la politique du dictateur Sadate a été d’une part de faire la paix avec Israël, mais en même temps d’islamiser la constitution égyptienne. Si la première partie de l’article 2 de la constitution reprenait les termes de la Constitution de 1923: « l’islam est la religion d’État et l’arabe la langue officielle », la deuxième partie de l’article, selon laquelle « les principes de la charia islamique sont une source principale de la législation » était déjà un ajout islamiste fait par Sadate avant de le reformuler en disant que c’est » la source principale ».
Sans rentrer dans le détail, l’arrivée du dictateur Moubarak a modifié l’interprétation de la charia islamique via l’université théologique d’Al-Azhar dans un sens défavorable aux islamistes.
Depuis la révolution du 25 janvier, la Constitution de 1971 est abolie. Puis ,une ratification d’une déclaration constitutionnelle de la dictature militaire a été ratifiée en mars 2011 par référendum qui permet de diriger le pays par déclaration constitutionnelle. Le nouveau dictateur frère musulman Morsi n’a fait qu’utiliser cette possibilité en révoquant la déclaration constitutionnelle de la dictature militaire prise à la veille de son élection en juin 2012 puis en promulguant une nouvelle déclaration constitutionnelle le 22 novembre 2012 pour prendre les pleins pouvoirs au détriment de l’autorité judiciaire.
Il est intéressant de voir que la première assemblée constituante formée en mars 2012 a été dissoute fin avril 2012, car les islamistes étaient largement majoritaires. Une nouvelle assemblée constituante fut nommé en juin 2012 comprend 33 représentants des partis égyptiens (huit partis au total) ; sept femmes ; sept représentants des mouvements de jeunesse et des familles des victimes de la révolution ; dix membres d´Al-Azhar et d’autres institutions de la charia ; huit Coptes, 28 experts juridiques représentant le système judiciaire et les universités ; dix écrivains, penseurs et universitaires ; sept représentants syndicaux ; quatre représentants des travailleurs et des agriculteurs ; et un représentant de la diaspora égyptienne.
Comme l´Assemblée constituante précédente, celle-ci aussi était en majorité islamique, car comme toujours ceux que l’ont présente comme émanant de la société civile étaient aussi des islamistes. c’est pourquoi la gauche et les libéraux ont démissionné de cette instance illégitime.La Haute Cour constitutionnelle devait livrer son verdict des procès le 2 décembre 2012 et donc le dictateur des fréres musulmans Morsi a dissous cette Haute cour par décret le 22 novembre 2012. C’est comme si en France un président de la république pouvait dissoudre par décret le Conseil constitutionnel, car il aurait une crainte que ce dernier censure ses projets avant le référendum du 15 décembre!
Pour que vous puissiez juger, voilà un florilège de la Constitution dictatoriale et cléricale des Frères musulmans:
- L’article 1 définit maintenant le peuple égyptien comme « faisant partie de la nation islamique » et non de la nation arabe
- L’article 2 définit l’islam comme « religion d’État » et « les principes de la charia islamique » comme « la source principale de la législation » reste intacte.
- L’article 219, qui clarifie l’article 2, stipule que: « les principes de la charia islamique » fait référence aux méthodes générales de l’argumentation juridique, de règles juridiques fondamentales et les principes, ainsi que les sources reconnues par les écoles sunnites juridiques. « Son rôle est d’empêcher une interprétation libérale de l’article 2 du type de celle utilisée par la Haute cour constitutionnelle. L’article 219 permet aussi la codification de la charia et permet la discrimination contre tous ceux qui ne sont pas musulmans sunnites, chiites, y compris.
- L’article 3 définit «les principes canoniques de chrétiens égyptiens et juifs» comme «la source principale de la législation de leurs lois sur le statut personnel, de ses affaires religieuses et la sélection de leurs chefs spirituels. »
- L’article 4 a été ajouté dans le but de consolider le statut d’Al-Azhar en tant qu’autorité religieuse de l’État.
- L’article 6 stipule que «le système politique est fondé sur les principes de la démocratie et de la choura (un principe islamique qui oblige le dirigeant de consulter des conseillers religieux). »et que contrairement à la constitution précédente on pourra présenter des partis basés sur la religion.
- L’article 10 stipule: «La famille est le fondement de la société et est fondée sur la religion, la moralité et le patriotisme.
- L’article 44 stipule que le délit de blasphème est organisé.