Commençons par le nouveau livre d’Henri Peňa-Ruiz « Entretien avec Karl Marx » paru chez Plon.
Quel bonheur ! La pensée de Karl Marx est depuis son vivant un « chef d’œuvre inconnu » de la grande majorité de ses commentateurs.Parmi les laudateurs et critiques, on trouve rarement ceux qui ont lu les ouvrages du vieux barbu du 19e siècle. Souvent, ils n’ont lu que des critiques de ceux qui ont écrit sur lui sans l’avoir lu suffisamment. Comme si lire un paragraphe suffit à comprendre. Et si ceux qui se disent marxistes avaient dénaturé la pensée de leur effigie ? Et quand Patrick Artus, économiste libéral, titre l’une de ses notes « Karl Marx is back! », cela fait le buzz !
A la lecture du livre d’Henri Peňa-Ruiz que j’ai dévoré, on s’aperçoit que pour comprendre la crise globale actuelle, lire Marx n’est pas une perte de temps.
Au contraire, cela vaut mieux que le 20 heures de TF1 ou de France 2, mieux que la plupart des médias et des dirigeants politiques, syndicaux, mutualistes et associatifs et des économistes et philosophes patentés et soumis à des conflits d’intérêts qui nous « bassinent » de leurs incompétences.
Dans ce livre, toutes les réponses de Karl Marx ont été intégralement écrites par le vieux barbu et le livre donne la source après chaque citation. Les questions posées par Henri Peňa-Ruiz ne sont là que pour montrer l’actualité de ses réponses. Au moins là, vous lirez du Marx et non un commentaire sujet à caution sur Marx. Ce livre montre la supercherie des simplifications surplombantes et participe à la clarification du complexe. Ne pas lire ce livre est donc criminel !
Passons au nouveau livre de Bernard Friot, « L’enjeu du salaire » paru chez La Dispute. Là, nous sommes en présence d’un vrai livre qui alimente la pensée. Alors que nous sommes abreuvés des simplifications abusives du populisme d’extrême droite, que les mensonges et impasses des thuriféraires du néolibéralisme de droite comme de gauche sont émis du matin au soir, que dans la gauche antilibérale ou de la « gauche de gauche » (notons en passant que cette expression inventée par Bourdieu s’est transformée chez de nombreux militants en « gauche de la gauche », ce qui bien sûr dénature, appauvrit et supprime la force du concept !) on fait croire qu’il suffit de rustines techniques, souvent « économicistes », pour régler tous les problèmes du monde. Là, nous sommes en présence d’une proposition alternative qui bouscule le « ronron » des certitudes conformistes et permet un vrai débat sur le modèle alternatif.
D’abord, cette proposition n’est pas un projet idéaliste de création ex nihilo car aucune avancée émancipatrice dans l’histoire ne s’est faite en dehors d’un point d’appui sur des réalités existantes. Mais nous sommes en présence d’une autre logique de construction sociale et politique, qui s’appuie sur des institutions salariales existantes et que Bernard Friot souhaite bien sûr réhabiliter. Le développement de la qualification personnelle, de la cotisation, de la souveraineté populaire et des institutions salariales existantes sont à la base de son raisonnement. Il lui permet de s’opposer à la logique capitaliste qui souhaite affaiblir la sécurité sociale pour promouvoir les organismes complémentaires assurantiels, souhaite maintenir la soumission du salarié à l’employeur dans l’entreprise, souhaite supprimer la cotisation sociale au profit de l’impôt à commencer par les plus injustes, et contraindre les salariés citoyens à une démocratie formelle en acceptant d’abdiquer la démocratie réelle. De plus, la compréhension de cette logique peut nous permettre de construire des politiques de temps court et de temps long. Pour les partisans de la république sociale que nous sommes, la compréhension de cette logique ne peut que nous enrichir. Même si, ici et là, je peux avoir des désaccords avec Bernard Friot, il n’est pas possible de penser la l’alternative en dehors d’un débat serein et sérieux sur cette nouvelle logique. Enfin, avec ce livre, nous en terminons avec les simplifications surplombantes et nous entrons dans la clarification d’une globalité complexe.
« 2012: les sociologues s’invitent dans le débat« , paru aux Éditions du croquant dans la collection savoir/agir, nous permet d’avoir un éclairage sociologique sur des sujets aussi différents que la globalisation financière, la nécessité de la mobilisation populaire, le besoin d’une plus grande démocratie sociale, d’une autre justice, d’un autre système de santé, d’une autre école, d’une autre université, d’un autre traitement de la délinquance, d’un autre combat contre le chômage, d’une autre approche des questions de l’immigration et de la nationalité, d’une libération des médias de la recherche et des sondages par rapport à la logique du marché. J’ai particulièrement apprécié les approches de Frédéric Pierru, de Henri Maler, de Céline Braconnier, de Louis Pinto, de Sophie Béroud et de Karel Yon. Avec cet ouvrage, on replace le débat dans l’analyse de la lutte des classes, dans le refus du « social résiduel », pour une appréhension globale, et dans la volonté de « favoriser sur des points précis la formulation de principes d’action en deçà desquels une gauche digne de ce nom ne pourrait que se déjuger ». A lire !
« Pour une philosophie du travail » de Martine Verlhac, paru aux Éditions Alterbooks dans la collection Rebonds, nous permet un éclairage essentiel sur le travail et son lien avec l’émancipation sociale. Tout d’abord à partir du constat suivant : « Aucun des candidats à la direction de la société ne part de la centralité du travail dans la vie des hommes. Au mieux partent-ils d’un projet de redistribution des richesses. cela semble généreux mais c’est en même temps une dénégation » Disons-le tout net, ce livre est salvateur parce qu’il se place dans l’angle mort de la pensée de gauche en instruisant une réflexion centrale pour tous ceux qui veulent penser la transformation sociale et politique en dehors des recettes éculées et simplificatrices. Martine Verlhac a raison de dire que le travail ne doit pas être abordé uniquement d’un point de vue « clinique » (souffrance de plus en plus forte, suicides en hausse, etc.) et nous lui savons gré de reprendre la question sous un angle théorique et de replacer la philosophie du travail au cœur de toute pensée de transformation sociale et politique, revenant au texte pionnier de la déclaration de Philadelphie (1944).
En attendant un débat que je souhaite pouvoir entamer avec elle… je vous recommande sa critique magistrale des idéologies prônant « la fin du travail » et des illusions du prophète de l’écologie politique André Gorz, qui le placent en fait dans les catégories philosophiques qu’il prétend combattre. La critique de la position de Hannah Arendt et de Heidegger sur le travail est de ce point de vue fulgurante. Ne pas lire ce livre permet de penser la suite de l’histoire sur le mode du roman, mais ne permet pas d’engager la rupture nécessaire sur le concept du travail.
« Une société intoxiquée par les chiffres » de Marc Delepouve paru chez l’Harmattan dans la collection « Questions contemporaines » est à lire absolument. J’ai connu Marc Delepouve dans la nébuleuse altermondialiste, nébuleuse souvent prise dans des conflits organisationnels où le patriotisme d’organisation prime sur le débat libre, contradictoire et argumenté. Je le découvre très convaincant dans ce livre quand il nous fait profiter de sa réflexion sur l’usage non contrôlé des mathématiques (il est agrégé de mathématiques et enseignant universitaire). Enfin un mathématicien qui nous engage à réfléchir sur l’usage d’une discipline qui peut donner le meilleur si elle est utilisée de façon scientifique mais peut servir également aux pires mensonges si on sombre dans l’obscurantisme.
Ses « propositions pour sortir de la crise globale » – moins convainquantes et qui demanderaient des développements plus étoffés – lui permettent d’avoir une réflexion critique sur cette instrumentalisation des mathématiques. Il scrute plusieurs sujets comme l’école (le classement de Shangaï par exemple), l’organisation du travail, les retraites, le service public et les scénari du Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC) pour montrer comment la rigueur scientifique y est malmenée, soit pour manipuler, soit par scientisme. Il me paraît impératif que tous les militants lisent ce livre pour aiguiser leur esprit critique face à l’instrumentalisation de la science mathématique dont le fondement reste la dimension axiomatique, trop souvent écartée de la réflexion.
« Le politique, fin de règne » de Daniel Lescornet paru aux Éditions de l’atelier et préfacé par Roland Gori, initiateur de l’Appel des appels, mérite d’être lu. Cet ouvrage que je viens de terminer est paru il y a deux ans. Bien que je ne partage pas les idées politiques de l’auteur, notamment sur le traité européen dont il a été un thuriféraire, ou même sur ses propositions en matière de protection sociale, le livre présente de l’intérêt. D’abord parce qu’il a été un responsable CGT, puis président de la Fédération des mutuelles de France (FMF) et que c’est à ce moment-là qu’il a poussé à « l’unification » de la FMF dans la Fédération nationale de la mutualité française (FNMF). Ayant participé avec mes deux co-auteurs du livre « Contre les prédateurs de la santé » (voir ci-dessous) à une critique, que je pense sérieuse, des orientations de la FNMF dans ce qu’il faut bien appeler un angle mort de la pensée de gauche, je n’approuve pas certaines analyses du livre en ce domaine. Mais le caractère « je jette un pavé dans la mare » et sa remise en cause des formes du politique questionnent de façon intéressante.
Venant d’un bon connaisseur des organisations politiques (il est passé du PCF aux Verts puis au PS), syndicales et mutualistes, l’analyse critique des formes du politique, du syndical, du mutualiste peut nous amener à progresser. Il faut aussi des « jeteurs de pavé dans la mare » pour qu’ensuite une réflexion moins corsetée voie le jour.
Bien évidemment, j’invite le lecteur à compléter ses lectures par les 5 livres de la nouvelle collection « Osez la république sociale » que je co-dirige avec Christophe Hordé chez l’éditeur 2ème édition.
- « Néolibéralisme et crise de la dette » de Bernard Teper et Michel Zerbato est un complément indispensable à l’activité du Réseau Education Populaire (REP) en matière de compréhension de la triple crise d’abord économique puis financière et enfin de la dette publique.
La partie « Économie politique de la crise » due à Michel Zerbato, s’appuyant sur une bonne connaissance de ce qu’est la monnaie, permet de comprendre pourquoi la crise systémique renvoie le modèle politique néolibéral dans la catégorie des modèles épuisés comme les modèles du communisme soviétique, de la social-démocratie, des modèles keynésiens, comme des utopies tiers-mondistes. Il faut donc penser un nouveau modèle, d’où le chapitre « Manifeste pour une république sociale » que j’ai écrit. (Ce chapitre appellera une suite pour clarifier le complexe de cette république sociale.) - « Contre les prédateurs de la santé » de Catherine Jousse, Christophe Prudhomme et Bernard Teper est construit sur trois parties qui intéresseront les citoyens éclairés et l’ensemble des militants qui veulent réfléchir sur un domaine encore aujourd’hui très socialisé mais qui subit les attaques du néolibéralisme depuis plus de 30 ans. La liste de ces attaques apparaît dans la première partie et débouche sur la deuxième partie qui entreprend la critique des complémentaires santé, cet angle mort de la gauche. Puis enfin, un ensemble de propositions cohérentes mais radicales pour penser un monde plus solidaire.
- « Pourquoi les Allemands payent-ils leur loyer deux fois moins cher que les Français » de Christophe Hordé montre le scandale des politiques néolibérales en France depuis plus de 30 ans, qui ont été nettement plus anti-sociales en matière de logement qu’en Allemagne malgré de nombreuses années de la gauche au pouvoir. Il se termine par une réflexion sur les pistes alternatives.
- La réédition du texte de Friedrich Engels “La question du logement“ initialement publié en 1873 et qui garde toute son actualité en regard de la crise du logement que nous vivons aujourd’hui en France.
- “Chroniques de la grande perdition“ qui reprend une partie des chroniques de François Leclerc, chroniqueur sur le blog de Paul Jorion, avec une introduction de Paul Jorion.
Et entre deux livres, participez aux actions de résistance, d’éducation populaire tournée vers l’action, faites l’amour sans entraves mais pas la guerre !