Prestations familiales : du sable dans la machine à raboter

On nous répète que les Français sont plus que d’autres attachés à l’égalité, aspirent à la justice, d’où le débat toujours aussi vif sur les politiques fiscales. Or les questions d’égalité et de justice reviennent par la fenêtre à propos de la politique familiale, face à la volonté gouvernementale de « gratter » 2,2 milliards d’euros sur plus de 61 milliards d’euros de prestations familiales (1)http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATSOS04603)).

Nous récusons cette mesure car la branche famille doit revenir à l’équilibre en 2019 de façon mécanique et parce que ce déficit est dû à la décision des gouvernements de financer la branche retraites par la branche familles (pour 9 milliards, une paille !) mais aussi à la déformation du partage de la valeur ajoutée depuis 30 ans.
Le Haut Conseil de la Famille, dans son avis du 8 avril dernier sur le rapport Fragonard, s’est opposé à la mesure néolibérale de suppression de l’universalité des allocations familiales demandée par le MEDEF (d’où notre titre !) et approuvée par le gouvernement Hollande-Ayrault, la CFDT, l’UNSA et le CNAFAL (très lié à l’UNSA Education et de ses associations proches du CNAL). C’est très bien ainsi ! Bravo à la CGT, à FO, à la FSU, à diverses organisations familiales dont l’UFAL et la CSF (2)Au HCF, outre les représentants des familles, siègent les partenaires sociaux, ce que l’Union nationale des associations familiales – UNAF – avait combattu : sur le caractère non représentatif de l’UNAF, voir un récent article du Monde..

La fausse évidence opposée aux prestations universelles

Les néolibéraux des gouvernements UMP et PS depuis plusieurs décennies avancent une idée simple. Les inégalités augmentent donc il faut supprimer les prestations universelles de la protection sociale pour regrouper les dépenses existantes dans  le champ de l’assistance pour les plus pauvres. Ils déclarent ensuite (comme Margaret Thatcher) qu’« il n’y a pas d’alternative », que la dette nous oblige de diminuer les dépenses et que l’universalité des prestations est un luxe que l’on ne peut plus se payer. CQFD.

De leur côté, la majorité des couches moyennes supérieures et les « riches » affirment la main sur le cœur « On est prêts à faire cadeau de nos allocations familiales pour les pauvres… » Hypocrites, va ! Bien sûr, ils préfèrent « rendre » quelques centaines d’euros pour conserver les milliers voire les dizaines de milliers d’euros gagnés à l’occasion des cadeaux fiscaux octroyés par les gouvernements néolibéraux de droite et que les néolibéraux de gauche ont maintenus !

Pour mieux comprendre la fausseté de cette « évidence », rappelons que la protection sociale est couverte par trois champs : celui du droit social avec les prestations universelles, celui de l’assistance pour les plus pauvres, celui du privé lucratif. Les politiques néolibérales ont comme objectif de diminuer petit à petit le champ du droit social et d’augmenter les champs de l’assistance pour les pauvres et, de façon concomitante, du privé lucratif pour les plus aisés. Voilà pourquoi il y a une alliance entre les forces néolibérales et les forces cléricales communautaristes et intégristes, c’est parce que les néolibéraux préfèrent la charité envers les plus pauvres (doctrine sociale des églises) plutôt que l’application du principe de solidarité via les services publics.

Choisir la République sociale consiste à faire l’inverse

Voilà pourquoi elle est l’alternative. On peut montrer que dans les périodes d’extension du champ du droit social, les inégalités sociales de toute nature diminuent et que dans les périodes de régression du champ du droit social, les inégalités explosent comme depuis une trentaine d’années.

Développons. On peut montrer par exemple que depuis l’instauration de la CMU complémentaire pour les plus pauvres (champ de l’assistance), les inégalités sociales de santé ont explosé, les refus de soins pour cause financière touchent aujourd’hui plus d’un assurée social sur cinq, etc. Que faudrait-il faire ? Remplacer la CMU complémentaire pour les plus pauvres par un droit universel du champ du droit social à savoir un accès aux soins partout et pour tous avec un remboursement assurance-maladie à 100 %. (3)Cela éviterait les discriminations des bénéficiaires de la CMUC, cela éviterait que les assurés sociaux payent des complémentaires santé à frais de gestion de 15 à 22 % alors que l’Assurance-maladie a des frais de gestion de 4,5 %.
Autre exemple, la majorité des 2 millions de familles monoparentales (dirigées par 96 % de femmes) sont en-dessous du seuil de pauvreté. Voilà pourquoi un droit à une retraite digne appelle à une retraite à caractère universel, non pas liée au nombre d’annuités mais à la qualification personnelle.

Pour le financement, il faudra bien sûr revenir sur la déformation du partage de la valeur ajoutée qui est, depuis 30 ans, de 9,3 points de PIB par an soit d’un transfert de plus de 180 milliards d’euros par an des salaires et prestations sociales vers les dividendes pour les actionnaires. Voilà une mesure de santé publique… Il faut donc faire le contraire de ce qui est proposé dans l’Accord régressif « made in MEDEF » du 11 janvier 2013 détruisant les acquis du droit du travail.

Voilà le projet de la République sociale. Extension du champ du droit social et des prestations universelles pour émanciper et entrer dans un dispositif de diminution des inégalités sociales. Diminution allant jusqu’à la suppression du privé lucratif dans la protection sociale solidaire. Diminution progressive du champ de l’assistance au fur et à mesure que le champ du droit social et ses prestations universelles améliorent le sort commun et l’intérêt général. Et pour le financement, application stricte du principe de solidarité : « à chacun selon ses besoins, chacun y contribuant selon ses moyens ». Donc oui, nous voulons plus de prestations universelles mais nous voulons aussi une justice plus grande dans les prélèvements sociaux (fiscalité progressive plus forte et une nouvelle dynamique de la cotisation sociale) (4)Pour la branche Famille que finance une cotisation patronale, l’idée qu’avait en son temps énoncée le rapport Bur n’est pas morte d’en dispenser les entreprises, au nom de la compétitivité, chez ceux qui espèrent casser le bloc de la Sécurité sociale en donnant à certaines prestations un financement par l’impôt plutôt que par la cotisation comme si, par « nature », les prestations familiales n’avaient rien à voir avec le salaire..
Et vive l’accès aux soins partout et pour tous avec remboursement Sécu à 100 %, vive un “vrai” droit au logement, vive un “vrai” droit à une retraite digne, un “vrai” droit à une place de crèche collective ou familiale, à un “vrai” droit contre la perte d’autonomie… Vive la solidarité, vive la République sociale et ses nouveaux droits universels ! (5)Et demandez le programme du Réseau Education Populaire pour approfondir ces questions.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATSOS04603)
2 Au HCF, outre les représentants des familles, siègent les partenaires sociaux, ce que l’Union nationale des associations familiales – UNAF – avait combattu : sur le caractère non représentatif de l’UNAF, voir un récent article du Monde.
3 Cela éviterait les discriminations des bénéficiaires de la CMUC, cela éviterait que les assurés sociaux payent des complémentaires santé à frais de gestion de 15 à 22 % alors que l’Assurance-maladie a des frais de gestion de 4,5 %.
4 Pour la branche Famille que finance une cotisation patronale, l’idée qu’avait en son temps énoncée le rapport Bur n’est pas morte d’en dispenser les entreprises, au nom de la compétitivité, chez ceux qui espèrent casser le bloc de la Sécurité sociale en donnant à certaines prestations un financement par l’impôt plutôt que par la cotisation comme si, par « nature », les prestations familiales n’avaient rien à voir avec le salaire.
5 Et demandez le programme du Réseau Education Populaire pour approfondir ces questions.