On trouvera ci-dessous l’essentiel d’un courrier adressé par l’Ufal le 3 janvier 2011 à M. Bertrand Delanoë.
Rejetant résolument l’appel au « choc des civilisations », l’UFAL défend la laïcité comme élément fondamental permettant de vivre ensemble dans la République, et dans toute « société démocratique » au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (communiqué de presse du 18/12/2010 sur les Assises sur l’islamisation).
Il n’en demeure pas moins que la dangereuse agitation entretenue par l’extrême-droite tire parti de faits avérés, concernant notamment certains arrondissements de Paris, et qui paraissent constitutifs de troubles à l’ordre public. Il s’agit de l’occupation de la voie publique (en particulier rue Myrha, rue Polonceau, rue Léon, rue des Poissonniers, etc.), pour l’exercice du culte musulman le vendredi après-midi. Les voies concernées sont alors fermées au public par des barrières, et leur accès interdit aux véhicules. Mais les trottoirs sont également occupés par les derniers arrivants, ce qui interdit parfois totalement le passage des piétons, sans que les forces de police éventuellement présentes interviennent pour assurer la liberté de circulation, au moins pédestre.
Or, si manifester sa religion, y compris en public, constitue une liberté fondamentale, il en va de même de la liberté d’aller et de venir, et de l’égal accès de tous aux voies publiques.
L’UFAL, soucieuse du respect de toutes les libertés fondamentales, rappelle que le droit commun (loi du 9 décembre 1905, article 25) de la liberté de cultes est leur exercice dans les locaux appartenant à des associations cultuelles ou mis à leur disposition à cet effet. La question de la capacité des lieux de culte, invoquée d’ailleurs en l’absence de tout élément d’évaluation objectif et incontesté, est de pure opportunité et ne concerne que les personnes désireuses de pratiquer collectivement le culte en question ; elle ne peut se régler que dans un cadre juridique et par des financements privés (article 2 de la même loi), non par l’occupation habituelle du domaine public.
En effet, l’utilisation de la voirie publique, par définition exceptionnelle, pour « les cérémonies, processions et autres manifestations extérieures d’un culte », est soumise par l’article 27 de la loi de 1905 au régime de la police municipale. La liberté de manifester sa religion s’exprime alors dans le cadre de l’ordre public, et doit se concilier avec les libertés fondamentales de tous les autres usagers. C’est ainsi que la Convention européenne précitée admet, en son article 9–2, que les considérations de « l’ordre public », « dans une société démocratique », peuvent justifier des restrictions à la liberté de manifester sa religion.
L’UFAL considère que de telles restrictions paraissent s’imposer en l’espèce. En effet, le caractère massif et systématique de ces manifestations peut être ressenti comme provocateur, voire invasif, du fait même de l’absence d’intervention de la force publique et de réglementation connue. Il s’est de fait créé un point de fixation prosélyte dans certains quartiers de Paris, où la prière de rue du vendredi attire des pratiquants venus de toute l’Ile-de-France.
Aucun autre culte ne bénéficie d’un tel traitement, ni ne le revendique à notre connaissance. Cette situation, répétée et manifestement excessive, dépasse ainsi les limites de la simple tolérance : or le principe constitutionnel de laïcité de la République s’oppose à ce qu’un culte particulier se voie octroyer une dérogation aux règles qui s’appliquent à tous.
Laisser se poursuivre chaque semaine sans réglementation ce prosélytisme extrémiste revient à nourrir l’extrémisme opposé, raciste et xénophobe, en lui fournissant un prétexte tangible pour des incitations à la haine et à la division civile. Comme l’ont montré les tentatives de contre-manifestations (« apéritif pinard-saucisson » sur les lieux), ou des prises de position politiques récentes assimilant outrageusement les faits relatés à une « occupation », il s’agit là d’une source de troubles encore plus graves à l’ordre public, susceptibles de porter atteinte aux principes mêmes de la République. Compte tenu des circonstances politiques et sociales actuelles, l’absence d’intervention publique en la matière risque d’exacerber dangereusement les tensions entre habitants de Paris, à l’opposé des principes permettant de vivre ensemble dont vous-même vous réclamez.
J’ai donc l’honneur de vous demander d’intervenir auprès de Monsieur le Préfet de police pour qu’il prenne les mesures nécessaires et proportionnées pour faire cesser à la fois ce désordre et les polémiques dangereuses qu’il suscite. La voie publique doit être rendue à sa destination normale, qui ne fait place aux manifestations cultuelles, de quelque culte qu’elles se réclament, qu’à titre exceptionnel et sous réserve des nécessités de l’ordre public.
N.B. Rappelant que, comme dans le cas de toute « manifestation de voie publique », une déclaration préalable est indispensable, sous peine de sanctions pénales, L’UFAL s’adresse par ailleurs au Préfet de police pour lui demander si ces manifestations ont ou non été déclarées, par qui, et pour quelles emprises exactes de la voirie parisienne.