Dès l’automne 1870, les villes françaises s’enflammèrent pour la République. Les premières tentatives de proclamation de Communes eurent lieu le 28 septembre à Lyon et les 1er et 2 novembre à Marseille. Malgré leur échec, à partir de l’hiver 1870-1871, l’agitation reprit dans de grandes villes comme Bordeaux ou Nantes et dans des cités moyennes comme Tours, Vierzon, Limoges, Carcassonne, Mâcon, Rouen, dans tout l’Ariège, le Vaucluse ou encore dans le Nord.
Après la proclamation de la Commune de Paris le 18 mars, il n’aura fallu que quatre jours pour que des délégations de villes de province arrivent dans la capitale afin de s’enquérir des objectifs de la révolution parisienne. Immédiatement, la Commune fut proclamée dans six villes : Lyon, Marseille, Le Creusot, Saint-Étienne, Toulouse et Narbonne. D’autres suivirent dans les semaines postérieures, notamment Limoges.
Par manque de coordination, mais surtout par manque de perspective politique d’ensemble, les Communes de province n’ont pas survécu longtemps. Parfois en raison de la répression comme à Marseille, mais le plus souvent en raison de la confusion entretenue par les politiciens pseudo-républicains locaux, le mouvement communard n’a jamais représenté un « contre-pouvoir » crédible face à la cohérence et à l’efficacité d’un Adolphe Thiers à la tête du pouvoir versaillais.
Pour illustrer notre propos, prenons deux exemples de Communes peu connus et assez révélateurs des rapports de force politiques dans la France de 1871.
La Commune du Creusot-Montceau-les-Mines : la nouvelle classe ouvrière à l’action !
Ce bassin industriel est le fief de la famille Schneider, leader du patronat « moderniste » du Second empire. C’est une terre de luttes ouvrières tout au long du XIXe siècle. Fraîchement arraché à la paysannerie, ce nouveau prolétariat (Montceau-les-Mines est une « ville nouvelle » fondée en 1856) fait montre d’une combativité exceptionnelle. Les grèves furent fréquentes et l’action politique radicale. Ce bouillonnement révolutionnaire amena certainement Eugène Varlin à se rendre en 1870 au Creusot pour y fonder une section de la Ière Internationale. Celle-ci fut animée par un militant exceptionnel qui avait déjà fait ses preuves : Jean Baptiste Dumay. Fils de mineur et ouvrier mécanicien, Dumay fut à la tête de toutes les grèves de mineurs, en particulier celle de 1869, où seule l’armée put rétablir l’ordre. Lors du plébiscite de mai 1870, Jean-Baptiste Dumay anima un comité anti-plébiscitaire contre Napoléon III. Au Creusot, le « non » l’emporta avec 3 400 voix contre 1 900.
Après la déclaration de la guerre à la Prusse, la section du Creusot de l’Internationale appela à une manifestation qui rassembla 4 000 personnes.
Aux élections législatives du 8 février 1871, Jean-Baptiste Dumay rassembla 77 % des voix au Creusot. Mais, sur l’ensemble de la Saône-et-Loire, la liste bourgeoise et conservatrice l’emporta. Le parti réactionnaire suscita des troubles et le gouvernement versaillais envoya des troupes au Creusot.
La Commune, à Paris, commença le 18 mars. Le 24 mars, au cours d’une réunion publique, 3 000 creusotins adressèrent au comité central de la garde nationale de Paris l’expression de leur vive sympathie. Le 26 mars, appuyé par la garde nationale de la ville qui fraternisa avec la troupe, Jean-Baptiste Dumay proclama la Commune du balcon de l’hôtel de ville. Le 27 mars, le gouvernement versaillais fit occuper militairement la ville. Fait prisonnier, Jean-Baptiste Dumay réussit à s’enfuir. Candidat aux élections municipales du 30 avril, il fut élu, dès le premier tour, avec trois de ses colistiers. Il ne put siéger et sera destitué définitivement en 1873.
Le 10 juillet 1871, Jean-Baptiste Dumay se réfugia à Genève. Le 29 septembre 1871, il fut condamné par contumace aux travaux forcés à perpétuité. Mais son combat républicain et révolutionnaire continua encore pendant un demi-siècle.
La Commune d’Alger : la désunion entre le prolétariat européen et le peuple kabyle mena à l’échec !
L’annonce de la Révolution à Paris, dans la nuit du 4 au 5 septembre 1870, provoqua à Alger des manifestations révolutionnaires contre le Second empire. Les quartiers populaires, comme Bab El Oued, se soulevèrent. Dans la ville se formèrent des comités révolutionnaires.
Puis des clubs démocratiques firent leur apparition dans plusieurs villes d’Algérie. Une association républicaine fut créée, comprenant, entre autres, des proudhoniens, des fouriéristes et des néo-jacobins, le rôle dirigeant étant assuré par des démocrates petits-bourgeois. Ceux-ci eurent une attitude négative vis-à-vis de la population indigène, étant contaminés par un nationalisme français. Ce qui entraîna des mouvements contradictoires et interdit aux indigènes de prendre des initiatives en faveur de leur indépendance (les proudhoniens ignoraient totalement cette aspiration).
Le 24 octobre 1870, le gouvernement français nomma le général Chanzy gouverneur civil de l’Algérie, rattaché au ministère de l’Intérieur. Une manifestation dans laquelle se trouvaient des éléments français mais aussi de nombreux Arabes et Kabyles l’empêcha de prendre ses fonctions. Ils s’emparèrent du palais du gouvernement et obligèrent la délégation française à se réfugier sur un navire de guerre ancré dans la baie d’Alger.
Le 2 septembre 1870, la chute de Sedan entraîna un grand mouvement révolutionnaire, surtout dans les grandes villes comme Alger, Orléansville, Oran, demandant la démission du gouvernement.
En mars 1871, la nouvelle que s’était constituée la Commune de Paris provoqua une insurrection en Algérie. La Kabylie tout entière était soulevée et commençait à déferler sur Alger. La ville était alors dégarnie de troupes parties en métropole pour la guerre. Le nouveau gouverneur, l’amiral De Gueydon, mit plusieurs semaines à juguler la révolte. La répression de l’insurrection kabyle fit près de 20 000 morts… autant de morts que la Commune de Paris !
La question coloniale fut mise de côté par les immigrés européens de toutes les tendances républicaines. Seuls quelques militants de la Ière Internationale et des anarchistes appelèrent à l’unité révolutionnaire des prolétaires de tous les pays. Cette division ethnique, pour le plus grand bénéfice des magnats coloniaux, perdura pendant encore 90 ans, jusqu’à l’indépendance de 1962.