Pour argumenter son refus d’augmenter les impôts des plus riches, Emmanuel Macron, lors de son allocution du 14 juillet 2020, a prononcé les mots suivants : « Nous sommes l’un des pays où la fiscalité est la plus importante. »
Cette assertion, répétée depuis en boucle jusqu’à l’overdose, relève de la propagande antifiscale et mérite des éclaircissements, des mises au point nécessaires. En effet, si le poids des prélèvements obligatoires exige un débat démocratique et transparent, la question de la répartition des efforts fiscaux demandés aux contribuables est d’importance.
Notre système fiscal est-il juste ? La proportion des différents types de prélèvements, du plus injuste au plus juste, du régressif (TVA) au progressif (impôt sur le revenu) en passant par la CSG (proportionnel) et la distribution des dividendes (autre forme de ponction sur les richesses créées) répond-elle à la revendication d’une réelle équité fiscale afin que le consentement à l’impôt soit universellement accepté par nos concitoyens ? Les essais pour répondre à ces questions permettraient d’élever le débat en dépassant les clichés ultralibéraux ou néoconservateurs.
L’ouvrage de Thomas Guenolé, parmi d’autres, intitulé Antisocial, La guerre sociale est déclarée (février 2018) aux Editions Plon, Tribune libre, aide à y voir plus clair.
Paie-t-on trop d’impôts en France ?
Taux de prélèvements obligatoires
C’est l’instrument qui permet de mesurer le pourcentage de la richesse créée par tous les acteurs économiques du plus bas de l’« échelle » sociale au plus haut et qui alimente les recettes fiscales. A propos de l’expression du plus bas de l’« échelle » sociale n’oublions pas que les soutiers de l’économie sont celles et ceux qui ont maintenu la société à flot durant la longue période de confinement.
La France n’est pas un ogre fiscal.
Comparons avec des pays similaires en prospérité à la France.
La France a bien une pression fiscale la plus élevée (OCDE, Recettes fiscales, données 2013) :
- France, 45,2 % de la richesse produite en un an (2018 : 46,9 % )
- Italie, 44 % (2018 : 42,05 % )
- Allemagne,36,4 % (2018 : 33,54 % )
- Royaume-Uni, 32,5 % (2018 : 45,2 % )
En réalité, une partie de ces recettes n’est pas dépensée par l’Etat mais repart directement dans la poche des habitants sous forme d’aides sociales. Cet argent ne fait que transiter par les caisses publiques pour retourner à la population. Ainsi, pour établir un comparatif valable, il faut enlever cette partie des recettes fiscales globales.
Aides sociales versées aux habitants en % de la richesse produite en un an ;
- France, 19,2 %
- Royaume-Uni, 10,7 %
La part de la richesse captée par les pouvoirs publics se ramène pour la France, l’Italie, l’Allemagne et le Royaume-Uni entre 22 % et 26 %.
Ainsi, la France n’est pas un ogre fiscal. La fiscalité française n’est pas confiscatoire.
Captation de la richesse produite en une année par l’impôt sur le revenu des ménages (OCDE, impôt sur le revenu des personnes physiques 2015) :
- France : 8,6 % (2018 : 9,47 % )
- Royaume-Uni : 9 % (2018 : 9,12 % )
- Allemagne :10 % (2018 : 10,37 % )
… par l’impôt sur les sociétés (OCDE, impôt sur les bénéfices des sociétés 2015) :
- France : 2,11 % (2018 : 2,11 % )
- Royaume-Uni : 2,45 % (2018 : 2,88 % )
- Japon : 4,26 % (2018 : 4,13 % )
… par l’impôt sur le patrimoine :
- France : 4,172 % (2018 : 4,112 % )
- Royaume-Uni : 4,038 (2018 : 4,137 % )
… par l’impôt sur les biens et services, TVA :
- France : 11 % (2018 : 11,505 % )
- Allemagne :10,06 % (2018 : 10,020 % )
- Royaume-Uni :10,7 % (2018 : 10,718 % )
- Italie :11,7 % (2018 : 11,883 % )
… par les cotisations sociales, seules différences importantes :
- France : 17 % (2018 : 16,088 % )
- Allemagne : 14 % (2018 : 14,091 % )
- Italie : 13 % (2018 : 13,093 % )
- Royaume-Uni : 6 % (2018 : 6,399 % )
C’est cela qui permet de mener une politique de redistribution des richesses plus importantes que les autres pays d’économie et de taille équivalentes. Les 3 % d’écart avec l’Allemagne (plus que 2 % en 2018) ne justifie pas de qualifier le niveau de cotisations sociales en France d’indécent.
Le vrai problème : le prélèvement excessif de dividendes par les actionnaires des grandes firmes françaises.
En 2016, selon la firme financière « Janus Henderson Investors », 50 milliards d’€ de dividendes ont été distribués soit une hausse de 12 % par rapport à 2015.
Cette ponction entraîne un manque important pour les dépenses d’investissements. C’est encore plus grave en ce qui concerne les grandes firmes bancaires qui, ainsi, refusent environ un tiers de demandes de crédits de trésorerie formulées par les Très Petites Entreprises (Banque de France, Accès des entreprises au crédit, 2016).
Certaines firmes vont même jusqu’à augmenter le montant des dividendes alors que la valeur de l’action baisse dans le même temps (Libération, 2017, Total).
Selon Vernimmen, le montant des dividendes versés est sans rapport avec la croissance économique réelle :
– de 2003 à 2007, multiplié par 2,6,
– de 2007 à 2009, chute due au krach boursier,
– 2014 : retour au sommet atteint en 2007. (Selon le n°175 de la Lettre de Vernimmen, en 2019, les groupes du CAC 40 ont distribué l’an passé 60,2 milliards d’euros à leurs actionnaires, que ce soit via des dividendes (49,2 milliards d’euros) ou des rachats d’actions (11 milliards d’euros), dépassant l’ancien record de 2007).
Exil des riches physiquement et sortie de l’argent en raison d’une imposition trop lourde en France : affirmation contredite par la réalité.
En 2015, l’ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation) a démontré que HSBC a fait transiter dans les paradis fiscaux ou plutôt les trous noirs fiscaux, entre 2006 et 2007, plus de 200 milliards de dollars sur les comptes de 100.000 clients et de 20.000 sociétés offshore, concernant 188 pays. Parmi les principaux pays concernés, nous trouvons aussi bien des Etats où la pression fiscale dépasse les 40 % de la richesse annuelle produite que d’autres comme les Etats-Unis d’Amérique ou la Suisse où celle-ci tourne autour de 25 % . Cela démontre que quelle que soit le niveau de la pression fiscale, celles et ceux qui décident de devenir un déserteur un déserteur fiscal sont motivés par la volonté de ne pas contribuer à la bonne marche du pays qui lui a permis de créer sa fortune et de la conserver. C’est l’illustration de l’expression de Karl Marx qui évoque « les eaux froides du calcul égoïste ». Ces déserteurs fiscaux profitent des avantages du pays d’accueil sans honorer les contreparties prévues pour assurer la pérennité des services publics qui fautes de moyens ont tendance à se détériorer.
Réforme hypocrite de l’ISF devenue depuis IS Foncier en 2017
L’objectif de cette réforme était de récupérer les personnes qui quittent la France en raison de l’ISF soit 0,2 % (500 personnes selon l’économiste Thomas Porcher) des contribuables assujettis à cet impôt soit 170 millions d’€. Ainsi, la transformation de l’ISF en IS Foncier permet de récupérer 170 millions d’€ tout en perdant 4 milliards de recettes fiscales…
Cette réforme serait faite pour lutter contre la fuite des talents. Comparons la situation de pays comparables au nôtre :
- Moins de 5 % de la population française hautement qualifiée expatriée,
- Plus de 7 % en Allemagne,
- 15 % au Royaume-Uni
Selon le magazine Chalenges en 2017, « La fortune du top 10 a progressé de 35 % en un an. Et depuis 1996, la fortune des 10 premiers a été multipliée par 12. »
Selon « Forbes » en 2017, la France se classe en septième destination mondiale la plus attractive pour les investissements.
Bref, le cliché présentant la France comme un enfer fiscal est infondé. Ce n’est pas parce qu’une analyse faussée et contredite par la réalité des chiffres est déclinée à l’infini qu’elle devient vérité.
Injustice du système fiscal français pour les classes moyennes et populaires
Notre système fiscal est-il progressif comme pour l’impôt sur le revenu, proportionnel ou régressif ? Pour être socialement juste, il devrait être globalement, en prenant la totalité des prélèvements obligatoires, progressif.
Régressif : plus le contribuable est pauvre, plus le % prélevé augmente. C’est le cas avec la TVA.
Proportionnel : moins injuste que le « régressif » mais injuste quand même. Prélever 10 ou 20 % d’un revenu au SMIC (1.539,42€ brut) ou d’un revenu supérieur à 5.000€/mois ne suppose pas le même effort fiscal.
Progressif : plus le contribuable est riche plus le % prélevé est élevé. C’est, socialement, le système le plus juste car aboutissant à un effort fiscal équitablement réparti.
Pris dans sa totalité, le système fiscal français est régressif et profondément injuste :
- La moitié la plus pauvre de la population française (entre 1.000 et 2.000€ brut/mois) se voit prélever en moyenne 45 % de son revenu.
- Les 40 % suivants (entre 2.300 et 5.100€ brut/mois), 48 à 50 % de leurs revenus.
- Les plus riches (au-delà de 6.900€ brut/mois) voient leurs prélèvements obligatoires baissés jusqu’à 35 % pour les 0,1 % les plus aisés.
Poids des différents types de prélèvements obligatoires :
- CSG : proportionnel donc injuste puisqu’il prélève le même % que l’on soit riche ou pauvre. Ses recettes font le double de celles de l’impôt sur le revenu qui lui est progressif.
- TVA : prélèvement encore plus injuste car en proportion des revenus, il pèse plus lourd sur les contribuables les moins aisés. Ses recettes font le quadruple de celle de l’impôt sur le revenu.
Ceci montre que les impôts les plus injustes pour les plus pauvres rapportent le plus en termes de recettes fiscales ;
Plus on est un fraudeur riche moins on risque d’être poursuivi.
Cette injustice criante s’aggrave si nous prenons en compte la question des riches qui pratiquent la fraude fiscale que l’administration fiscale volontairement ou par manque d’effectifs en inspecteurs ne poursuit que rarement. La Cour des comptes a pointé du doigt le fait que les poursuites se font sur « les fraudes faciles à sanctionner et non sur les plus répréhensibles ».
Quelques mesures pour que le système fiscal devienne un outil efficace pour répondre à l’exigence d’efficacité économique et surtout de justice sociale ?
Mesures pour définanciariser l’économie :
- Séparer les banques d’affaire et de détail,
- Contrôler les mouvements de capitaux,
- Instaurer une taxe sur les transactions financières,
- Moduler les droits de vote des actionnaires selon la durée d’engagement dans l’entreprise,
- Moduler l’impôt sur les sociétés selon l’usage des bénéfices pour encourager l’investissement en France,
- Interdire aux entreprises de distribuer un montant de dividendes supérieur à leur bénéfice,
- Interdire les licenciements boursiers et le versement de dividendes dans les entreprises ayant recours à des licenciements économiques,
- Accorder le droit de veto aux Comités d’entreprises sur les plans de licenciement (démocratie sociale),
- Instaurer un barème progressif pour l’impôt sur les sociétés et établir l’égalité entre PME ou TPE et les grands groupes,
- Lutter efficacement contre l’évasion fiscale et la fraude fiscale en renforçant les moyens de l’administration fiscale et des douanes (Une étude a montré que l’efficacité de ces deux administrations baissent du fait du manque de personnel et de moyens techniques suffisants),
- Mesures fiscales incitatives pour favoriser les investissements « écologiques »,
- …
Mesures pour aller vers plus de justice sociale en privilégiant les prélèvements progressifs :
- CSG, plusieurs options : La réformer la CSG dans le sens d’un prélèvement progressif et non plus proportionnel, supprimer les 70 de sa part salariale pour les transformer en cotisations sociales ou encore fusionner avec l’impôt sur le revenu pour assurer les recettes de la Sécurité sociale et de l’Etat,
- Rendre l’impôt sur le revenu plus progressif en passant d’un barème à 14 tranches en lieu et place des 5 tranches actuelles,
- 100 % d’impôt pour la tranche au-dessus de 20 fois le revenu médian (environ 1 780€ net/mois soit au-dessus de 35.600€ net/an),
- Réduire le poids de la TVA dans les recettes fiscales. Dans le même temps diminuer la TVA sur les produits de première nécessité et rétablir une « TVA grand luxe »,
- …
En conclusion, plutôt que de gloser sur le poids fiscal qui serait prohibitif en France, ce qui n’est de loin pas la réalité, il serait plus pertinent de réfléchir à la mise en œuvre de barèmes plus progressifs, socialement plus justes en répartissant l’effort consenti de chacun et chacune de manière équitable et économiquement plus efficaces. La pierre angulaire d’une telle « révolution » fiscale est l’intérêt général humain dans lequel la transition énergétique et écologique aurait toute sa place.
Il faut aller à l’opposé de ce qu’a commencé à mettre en œuvre Emmanuel Macron en réduisant l’impôt sur le revenu de près de 5 milliards. Ce faisant il réduit l’aspect progressif des prélèvements obligatoires, progressivité déjà très faible et rejoint ainsi les positions antiredistributives des dirigeants d’extrême-droite Viktor Orban et Matteo Salvini.