ReSPUBLICA : Pourquoi aujourd’hui cette proposition de loi-cadre ?
Pascale Le Néouannic : En déposant notre projet de loi nous sommes conscient du rapport de force actuel. Oui, la droite manipule ce principe si fondateur de notre vivre ensemble qu’est la laïcité. C’est d’ailleurs parce qu’elle est si essentielle à notre modèle Républicain que l’UMP veut l’adjectivé pour mieux la défaire. Oui, l’extrême droite s’est saisie du vocabulaire pour faire la chasse à l’étranger. Oui, la convention initiée par Jean François Copé, patron de l’UMP avait pour but de flatter ceux qui veulent nous faire croire qu’il y aurait un problème avec l’Islam qui ne serait pas soluble dans la laïcité. Oui et toujours oui, la droite est à l’offensive sur ce sujet. Oui et encore oui, le rapport de force est mauvais.
Surtout vu l’état de démobilisation à gauche ! Entre déshérence et désertion, depuis la défaite sur l’école en 1984, ce sont les tenants de la « modernité » qui ont occupé le devant de la scène. Quand localement, ce ne sont pas les élus eux-mêmes qui organisent les contournements de l’article 2 de la loi de 1905 pour financer tel ou tel culte.
Mais voilà, il ne faut pas reproduire les erreurs de la précédente présidentielle. En 2007, Sarkozy avait osé s’emparer de Jaurès pour s’attribuer l’idée de réforme, renvoyant la gauche au conservatisme… silencieuse sur le fond parce que « la politique ne peut pas tout ». Cette dernière s’était trop souvent contentée de crier au vol d’héritage sans parvenir, jamais, à réhabiliter l’idée que la politique sert à changer la vie. Aujourd’hui la présidentielle qui s’annonce met en débat qu’on le veuille ou non notre forme du vivre ensemble, un peu comme un fond de scène. La République, sa devise et l’une de ses principales lois, celle de 1905 de séparation des églises et de l’Etat, sont les cibles de la droite Sarkozyste. Et surtout ne pas croire qu’il s’agit d’improvisation, ce débat vient de loin, depuis le discours de Sarkozy aux Ambassadeurs, le 27 août 2007, nous savons le chef de l’Etat adepte de la théorie du choc des civilisations et de l’affrontement entre l’occident et l’Islam. Depuis qu’il a commis son livre La République, les religions, l’espérance (éditions cerf, 2000) nous savons avoir le Président de la République le moins laïque de notre histoire. Qui a dit « la meilleure défense c’est l’attaque » ?
La bataille laïque, dans le climat actuel impose donc de parler haut et fort, de planter un drapeau. Recommencer à dire non, cesser de reculer et passer à l’offensive. C’est ce que nous faisons en déposant cette proposition de loi qui affirme l’intangibilité du « noyau de sens » contenu dans les articles 1 et 2 de la loi de 1905.
ReSPUBLICA : Y aura-t-il une campagne politique d’éducation populaire autour de cette proposition ?
P.L.N. : Oui, évidemment car nous savons qu’on ne peut pas gagner la bataille politique sans mener le combat des idées… Cette proposition de loi n’est donc pas destinée à être rangée dans un tiroir. Elle va voyager, servir de boite à outil pour cette campagne politique d’éducation populaire. Permettre également d’établir une égalité entre citoyens devant la connaissance des mécanismes parlementaires et désacraliser la loi pour que chacun puisse s’en saisir, puisse la défendre et oser contester des arguties trop souvent avancés pour justifier quelques accommodements avec la laïcité.
Et puisqu’il n’y a jamais eu autant de laïques, c’est donc le moment de mettre enfin fin aux exceptions territoriales comme en Alsace Moselle avec le concordat, ou en Guyane où du fait de décret signé sous Charles X l’évêque continue d’être payé sur fonds publics. Et que l’on ne nous dise pas que c’est impossible, la toute récente départementalisation de Mayotte a eu comme conséquence immédiate de supprimer le droit coutumier local.
Faire de la pédagogie, c’est permettre de faire vivre la proposition de loi que Marie Agnès Labarre, Sénatrice de l’Essonne a déposée au Sénat, c’est pouvoir expliquer que le Concordat d’Alsace Moselle ne garanti en rien un traitement à égalité des citoyens. En effet seules quatre religions sont reconnues, mais surtout dans un régime concordataire l’agnostique et l’athée n’ont pas voix au chapitre, où le plus discrètement possible comme une opinion honteuse. L’égalité s’entend ici dans un cadre de concorde entre religions, le droit de celui qui n’en a pas ne peut être garanti et l’agnostique comme l’athée sont relégués dans l’espace privé.
Cette proposition de loi, c’est un drapeau qui donne le signal à tous les laïques abandonnés, isolés, déboussolés qu’il y a sur ce terrain matière à mener la bataille, et à gagner dans les esprits. Pour preuve, c’est en obligeant à débattre à gauche dans des collectivités comme la Région Ile de France que nous avons obtenu de voir diminuer de 40 % le budget facultatif aux établissements privés et d’avoir réussit à exclure du droit à subvention public des crèches confessionnelles au seul fait qu’elles ne respectent pas le principe de neutralité qui s’impose aux agents du service public du fait de notre régime de laïcité.
Et toujours pédagogiquement, c’est l’occasion de démontrer à qui l’aurait oublié que l’UMP n’est en rien attachée au principe de la laïcité, son double jeu s’est confirmé lorsque le groupe majorité présidentielle au Conseil Régional d’Ile-de-France, emmené par sa présidente Valérie Pécresse (également Ministre de l’enseignement supérieur), a voté contre l’amendement que notre groupe avait déposé pour exclure les crèches confessionnelles du droit à subvention.
Alors qu’une des propositions présentées par l’UMP lors de sa « convention de la laïcité » voulait « étendre les obligations de neutralité dans les structures publiques, aux structures privées des secteurs social (..) ou de la petite enfance chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général », deux jours plus tard, Mme Pécresse a déjà oublié cette proposition.
ReSPUBLICA : Comment cette proposition se lie avec les questions sociales ?
P.L.N. : La République sociale que nous appelons de nos vœux n’existe pas indépendamment de la laïcité. Ce sont les faces différentes d’un même projet… Et pour ceux qui l’auraient oublié, rappelez vous que les tenants de l’inégalité sociale ont besoin de développer le spirituel pour mieux faire oublier qu’on défait les services publics, la religion n’est pas un service public comme le dit très justement Henri Pena Ruiz. En effet, les services publics, par définition, doivent être utiles à tous et non seulement à quelques uns.
Prenons l’exemple d’une société totalement libéralisée, tous les citoyens devront payer l’école privée de leurs enfants, l’hôpital en cas de maladie… mais ils pourront bénéficier d’un lieu de culte financé par l’Etat. Au vu du coût de l’éducation privée ou de la santé privée et quant on connaît le taux de fréquentation des lieux de cultes, on voit très vite qui sera privilégié.
Il est impératif de ne financer avec l’argent public que les services publics qui servent à tous pour garantir une véritable égalité sociale. La laïcité est donc complètement liée aux questions sociales.
ReSPUBLICA : Les conférenciers de ReSPUBLICA disent souvent que la république sociale du 21ème siècle, c’est 4 ruptures : la démocratique, la laïque, la sociale et l’écologique. Peux-tu synthétiser les liens entre les questions sociale et laïque dont nous venons de parler et les questions démocratique et écologique?
P.L.N. : Le lien entre ces quatre ruptures est évident pour qui a pris conscience qu’il ne faut surtout pas les opposer et encore moins considérer que l’on pourrait se passer d’une de ses ruptures. Pas étonnant de la part d’un mouvement d’éducation populaire comme Respublica de faire ce lien.
Il s’agit en effet de prendre conscience que les questions écologiques comme sociales sont des questions démocratiques et que la démocratie sans l’éducation populaire n’est qu’un faux nez. Le devoir vis-à-vis des citoyens est de leur donner les moyens de délibérer en conscience… en résumé l’émancipation citoyenne dans une République sociale nécessite de ne jamais sous estimer l’urgence à lutter contre l’inégalité d’instruction qui est comme l’expliquait à raison Condorcet « une des principales sources de la tyrannie ». Comment sinon aborder des sujets aussi essentiels que le droit à mourir dans la dignité lorsqu’il est question par exemple des futures lois sur la bioéthique ou de la question de l’énergie et particulièrement du débat autour du nucléaire, alors que certaines données sont systématiquement dissimulées ou réservées a un cercle de pseudo initiés . Dans ce sens l’écologie politique est bien une rupture avec le modèle économique capitaliste d’accumulation des profits. Et certainement pas une reproduction mortifère d’identités uniques et figées qu’il faudrait préserver. Les tenants de cette « laïcité raisonnée » sont dangereux, car l’universalisme et ce qui nous ressemble disparaît derrière des différences qui seraient à les écouter indépassables…