Avec “Quand les chemises tombent, les masques aussi”, dans ce numéro, G. Étiévant nous donne un texte très bien fait et excellent quand il rassemble des faits habituellement dénoncés en ordre dispersé et ici ordonnés pour montrer que le masque « démocratie sociale » de la lutte des classes tombe, malgré les efforts de l’appareil idéologique que sont les médias de masse. Le masque tombe parce qu’il n’y a plus de grain à moudre : le dialogue social peut partager le bonus, mais pas la pénurie, là ce sont les lois de l’économie qui s’imposent, les lois d’un capitalisme en crise structurelle et soumis à la rentabilité financière immédiate. Ce sont elles qui conduisent l’État, en voie de faillite, à favoriser AdP au détriment d’Air France, qui n’est plus compétitive depuis longtemps. Ce sont elles qui font réapparaître la réalité de la lutte des classes.
Hélas, ce texte pèche ensuite sur l’analyse de cette réalité de classe. Il dénonce justement l’adhésion du PS au libéralisme, l’utilisation de la négociation collective contre les droits sociaux, la fiction d’intérêts communs entre patrons et salariés, etc., mais ne dit mot sur la cause profonde de ces évolutions, la crise du profit. En conséquence, il en reste à mettre en avant l’opposition patrons-salariés (c’est mieux que riches-pauvres, certes), se situant là au niveau de la lutte syndicale. Celle-ci est évidemment absolument nécessaire, mais elle reste une lutte de gestion de la contradiction du rapport social capitaliste qu’est la dualité du salaire : coût pour le capitaliste individuel et débouché pour l’ensemble. En période de crise, la lutte syndicale est une lutte de résistance, pas de renversement de l’ordre capitaliste, et en prétendant qu’elle peut l’être, ce texte tient fondamentalement, derrière la posture révolutionnaire, un discours qui relève de cette social-démocratie ou de ce socialisme parlementaire qu’il vilipende tant par ailleurs, un discours qui n’est pas près d’assurer le succès des prédictions de Jaurès.
Michel Zerbato
Deux citations à ajouter à ce dossier :
« On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. » Bertold Brecht. (Cité par Michel Cialdella dans “Mais de quelle violence parle-t-on ?” sur le blog de la CGT Sécu-Urssaf Rhône-Alpes.)
« … tandis que l’acte de violence de l’ouvrier apparaît toujours, est toujours défini, toujours aisément frappé, la responsabilité profonde et meurtrière des grands patrons, des grands capitalistes, elle se dérobe, elle s’évanouit dans une sorte d’obscurité. » Jean Jaurès (Chambre des députés, séance du 19 juin 1906)