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Religions, ONU soit qui mal y pense

L’anthropologue Jeanne Favret-Saada (1) Jeanne Favret-Saada L’Olivier, Jeux d’ombres sur la scène de l’ONU, 86 pp., 10 €. s’empare des dérives onusiennes sur le principe d’universalité.

Il était une fois la déclaration universelle des droits de l’homme. Ce texte – essentiel parmi les documents fondateurs du système des Nations unies tel qu’il s’est mis en place après la Seconde Guerre mondiale – reste en vigueur même si, dans la pratique, il n’a guère été respecté sinon par une minorité d’Etats de par le monde. Mais aujourd’hui, une majorité de pays membres de l’ONU refusent de reconnaître l’universalité des droits de l’homme.

«Depuis une douzaine d’années, la référence à des droits universels reconnus par tous les Etats a été graduellement marginalisée au profit d’une référence aux droits des « cultures, des civilisations et des religions, censés converger vers une paix perpétuelle grâce à la vertu miraculeuse du « dialogue »», écrit Jeanne Favret-Saada, anthropologue et psychanalyste, dans un livre court mais dense. L’auteure du célèbre les Mots, la mort, les sorts – livre désormais classique sur la sorcellerie dans le bocage berrichon – analyse avec une implacable rigueur les raisons d’une dérive amorcée au début des années 90, qui a culminé lors des conférences onusiennes contre le racisme de Durban 1 en 2001, où Israël fut le seul Etat cité nominalement avec une dénonciation du sionisme assimilé à un racisme et à l’apartheid. Celle de Durban 2, réunie à Genève en 2009, a été moins caricaturale. Mais les plus lucides des hauts fonctionnaires onusiens n’en reconnaissent pas moins qu’avec les rapports de force entre les 192 pays représentés à l’ONU, il serait aujourd’hui impossible d’adopter le texte de la déclaration universelle des droits de l’homme voté en 1948.

Le glissement commence en 1990 quand 57 pays de l’ONU regroupés dans l’Organisation de la conférence islamique (OCI) adoptent la Charte du Caire posant que «l’Ummah islamique dont Dieu a fait la meilleure communauté» constitue un modèle pour toute l’humanité. Et qu’en dernière analyse la charia (la loi islamique) reste «la référence suprême» pour l’interprétation des articles de ce texte fondateur. «Or ces droits universels de l’homme dans l’islam ne comportent pas pour l’individu le droit de professer la religion de son choix, de quitter sa religion ou de n’en avoir aucune», rappelle Jeanne Favret-Saada soulignant que ce précédent a ouvert la voie : «L’ONU n’a pas pu, ou pas voulu, contraindre l’OCI à adopter les normes qui fondent l’ordre international, de sorte que rien ne s’opposera par la suite à ce que certains Etats de l’OCI président les cessions du comité des droits de l’homme de l’ONU, fassent des rapports sur la situation de ces droits dans le monde ou exigent des sanctions contre tel ou tel pays.»

Les pays de l’OCI alliés avec les «non alignés» disposent d’une majorité automatique, y compris au sein du Conseil des droits de l’homme, qui a remplacé, en 2006, une Commission des droits de l’homme par trop déconsidérée à cause de ce genre d’errements. Là, comme dans le reste des institutions onusiennes, ils se battent pour faire passer des motions, sanctionner «la diffamation des religions», oubliant que le droit de critiquer la religion comme celui de blasphémer, demeurent des libertés essentielles dans un monde laïc. Ce transfert progressif vers les religions de l’universalité de la déclaration des droits de l’homme inquiète.

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1 Jeanne Favret-Saada L’Olivier, Jeux d’ombres sur la scène de l’ONU, 86 pp., 10 €.
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