Site icon ReSPUBLICA

République ou Far West ?

Richard Gerbaudi  est ex-secrétaire général de la FASP et du SGP. Sur la question de la police républicaine, lire aussi nos récents articles :  http://www.gaucherepublicaine.org/service-public/enfin-un-appel-pour-une-police-republicaine-au-cote-du-peuple-travailleur/7412887 
et http://www.gaucherepublicaine.org/chronique-devariste/pour-la-police-nationale-il-faut-aussi-partir-du-reel-pour-aller-vers-lideal/7416200 

°

°     °

Le projet de loi sur la sécurité globale va être débattu à l’Assemblée nationale. Si nous suivons ses propositions, dans 20 ans nous aurons tous une arme à la maison.

Réfléchissons un peu, ensemble, au « modèle » vers lequel veulent nous conduire tous ceux qui, en ce moment, dirigent notre pays et tous ceux qui sont pourtant censés défendre les valeurs de la République, liberté, égalité, fraternité.

Réfléchissons un peu, en regardant, par exemple, ce qui se passe en Colombie : en Colombie, vous n’avez pas de clés pour entrer dans votre immeuble ; c’est un vigile qui vous ouvre la porte (à trois ou quatre, ils se relaient 24/24h toute l’année pour garder votre porte) il est à l’intérieur de l’immeuble, il est armé. C’est du moins la sécurité qui est réservée aux riches.
Autre exemple, en Amérique centrale, où l’on trouve un vigile armé devant chaque magasin, et des gardes de sécurité devant chaque maison des quartiers résidentiels, maisons elles-mêmes protégées par des murs de plusieurs mètres, sur lesquels sont fixés des fils barbelés électrisés.

Dans ces pays, la sécurité est une  sécurité privée et les sociétés qui s’en occupent font fortune. La police nationale existe, oui, mais en seconde ligne ! Dans ces pays, quand on pense sécurité, elle est privée !

Dans ces pays, les familles les plus aisées font appel au service d’un chauffeur armé, souvent doublé d’un accompagnateur armé également.

Dans ces pays, les plus aisés se payent leur propre sécurité. Pourtant, cette conception de la société ne fait pas reculer, bien au contraire, la criminalité et les homicides : ce sont les pays où l’on tue le plus !

Dans ces pays, les personnels politiques se sont la plupart du temps inspirés des Etats-Unis et copié leur « méthode » dans le domaine de la sécurité. Mais aussi dans le domaine de la santé : pas de carte Vitale, seule une carte de crédit permet d’être accepté à l’hôpital. Ou dans le domaine de l’éducation, qui n’est pas vraiment gratuite, loin s’en faut…

Les gens qui vivent dans ces pays-là nous envient. Ils envient la France et ses services publics qui permettent une égalité de traitement en matière de la santé, d’éducation ou de sécurité, un modèle, disent-ils. Pourtant en France, la privatisation gagne tous les jours un peu plus de terrain.

« Puisque l’État ne peut pas, je fonde ma police municipale, » disent les maires, « j’arme ma police municipale !». Celle de Nice, dès sa mise en place, a été à la pointe avec des moyens bien supérieurs à ceux dont bénéficiaient les policiers nationaux en matière d’armements, de matériels et de véhicules

Face à la démission de l’État, des villes plus riches que d’autres se sont dotées de polices municipales.

Aujourd’hui, si l’on écoute les soi-disant défenseurs de la police (à l’Assemblée nationale ou sur les plateaux télé), il faudrait que la police nationale accepte un « continuum » pour pourvoir survivre et on propose de coordonner les efforts de toutes les forces consacrées à la sécurité. Dans ce nouveau dispositif, ceux que l’on appelle les policiers municipaux, coordonneraient leurs missions avec la police nationale et la gendarmerie. Ce qui nous permettrait d’arriver dans un monde de bisounours où les municipaux se développeraient encore plus sur tout le territoire, au détriment de la police nationale pour qui l’Etat rechigne toujours à donner les moyens de leurs missions. Les braves Saint-bernards de la police qui ont inventé ce « continuum » se moquent de nous !

C’est avec leurs arguments que des dizaines de polices municipales ont vu le jour : leurs effectifs sont arrivés à 33 000 aujourd’hui ! Et demain, pour continuer à assurer au mieux les missions que la police nationale ne peut plus effectuer, ils seront 50 000, 100 000 ! Halte-là !

Les braves Saint-bernards sont ceux qui vont condamner la police républicaine et nous conduire à une privatisation sans fin de notre sécurité. Avec leur « continuum », ils vont faire avaliser les vingt dernières années d’incurie. Ils veulent bricoler un arrangement qui plaira à tout le monde, puisque presque tous les partis, lorsqu’ils sont passés au pouvoir (notamment le PS et l’UMP), ont fait le lit des polices municipales.

Car en faisant le lit des polices municipales, on fait sauter le verrou et on ouvre la porte toute grande à la privatisation de la sécurité, mais aussi, comme c’est le cas aujourd’hui aux États-Unis, à l’armement individuel des citoyens.

Le pouvoir actuel a choisi son camp : il vient de sacrifier la Préfecture de police en ouvrant droit à la mise en place d’une police municipale à Paris qui, tôt ou tard, sera probablement armée (pour être plus proche des Parisiens ?)

Ce « cadeau » est un coup porté à la police nationale. Il nous éclaire sur les ambitions de ce gouvernement et les moyens qu’il veut véritablement donner à la police nationale, un gouvernement qui s’inscrit d’ailleurs en cela dans la tradition de ceux qui l’ont précédé ces vingt dernières années : beaucoup d’agitation, beaucoup d’annonces, peu de grands desseins…

Face à ces offensives, ceux qui sont chargés de défendre la police républicaine sont comme hypnotisés. Ils ne réagissent pas tant qu’il est encore temps, ils ne disent pas halte là ! Ils ne disent pas « arrêtez de municipaliser, et au contraire nationalisez ! ». A ce jour, seul le syndicat FSU a dénoncé cette course en avant.

Je pense qu’il est temps de dire aux maires qui ont tant investi pour la sécurité : « Merci, mais nous allons maintenant nationaliser vos polices municipales. Les effectifs, après examen et formation, seront intégrés à la police nationale. Ceux, du moins, qui réussissent au concours, car les autres redeviendront agents municipaux à la disposition de la ville. Vos moyens, véhicules, locaux, armement, caméras, etc. deviendront également propriété de l’Etat ».

En France actuellement, nous sommes en train de faire le chemin inverse de celui qui devrait être fait. Il nous faut interrompre cette marche suicidaire vers la municipalisation.

Car si nous ne la stoppons pas, si nous prenons le chemin de la privatisation, il nous conduit vers une sécurité à l’américaine. Le premier pas, c’est celui de la police municipale, avec des attributions sans cesse augmentées jusqu’à ce qu’elle puisse suppléer totalement la police nationale. Puis le chemin mène, de façon irrémédiable, à la privatisation de la sécurité, et donc au pouvoir de l’argent en lieu et place du service public pour tous.

Comme en Amérique centrale, nous aurons des gardiens privés devant les magasins, comme en Colombie, nous auront des vigiles devant les portes de nos immeubles, jusqu’à ce que le dernier maillon saute : et nous n’aurons plus qu’à nous armer pour nous protéger…

Le glissement se fera au fil des ans, et sera d’autant plus rapide si ceux qui sont chargés de défendre le modèle républicain laissent parler les autres…

Il s’agit là d’un choix de société. Et malheureusement ceux qui ont le pouvoir d’agir semblent se contenter de passer en boucle sur les différents médias pour commenter ce qui est en train de se passer, et non pas pour s’élever contre cette mascarade.

Ce continuum mènera au capharnaüm. Il me vient en mémoire, il y a peu, une élue de Marseille qui disait que la police municipale ne ferait pas appliquer la loi (il s’agissait des fermetures des bars et des restaurants). Tiens donc… C’est ce que nous avons toujours contesté et redouté à Paris. Il est inconcevable qu’une police municipale puisse un jour avoir à appliquer les ordres d’un maire qui conteste la loi ! Et s’opposer ainsi à la police nationale et à l’Etat

Pourtant, c’est à l’épanouissement de cette tendance que l’on assiste aujourd’hui, qui entérine les années de disette du service public et conduit sciemment à la privatisation de la sécurité

J’invite donc tous les républicains de ce pays, qu’ils soient policiers ou non, à s’élever contre la municipalisation de la police, contre l’armement des polices municipales et contre ses qualifications ; pour une remise à plat des forces de sécurité régaliennes, dans ce qui est encore une République et n’a pas vocation à devenir un Far-West.

Pour que la police républicaine assure la sécurité, combatte le terrorisme et fasse appliquer les lois, il faut un plan pluriannuel de plusieurs milliards (c’est d’ailleurs à cette échelle-là que l’Etat vient en aide aux sociétés semi publiques ou privées). La sécurité des Français les vaut bien.

Le pays a donc besoin :

– d’un plan de recrutement massif pour ouvrir (ou rouvrir) des commissariats dans tous les quartiers qui sont désertés par la volonté des gouvernement successifs.

– d’une formation des policiers à la hauteur des enjeux de notre société.

– de repenser le métier de policier et de l’adapter aux missions et aux enjeux qui sont aujourd’hui les siens.

– d’une revalorisation indiciaire conséquente, en fonction des spécialités choisies et des niveaux de responsabilités.

En France, pour quelques temps encore peut être, la police est nationale. La nation doit en faire un modèle républicain, et non un repoussoir.

Je prends date. Si nous ne stoppons pas dès maintenant cette spirale vers la privatisation, nous condamnons à terme la police républicaine. Il faut inverser la tendance, rouvrir les commissariats de la police nationale qui ont été fermés partout en France pour cause de baisse d’effectifs et de moyens. Plus largement, il faut des services publics de proximité (police-éducation-santé) pour tous et sur tout le territoire!

Je prends parti franchement, nettement, et sans ambages.

 

Quitter la version mobile