Au sirop de la rue Barbès d’Ivry, à ses mômes et leurs parents, à ce qu’elle était, à ce qu’elle est encore dans la mémoire de ceux qui y ont lampé leurs jeunesse, l’auteur de cet opus ne rend pas seulement hommage, il en rallume les feux.
Manu, le narrateur, historien, raconte ici sa jeunesse depuis son premier souvenir en couleurs : l’installation de ses parents dans cette usine où son père, républicain espagnol, enfilait son bleu de gardien. Cette rue sera aussitôt la sienne, ses règles dicteront bientôt son quotidien. Ces drôles à la personnalité bien trempée formeront sa bande, tout comme les nouveaux venus qui, peu à peu, une fois bien « reniflés », viendront en grossir les rangs.
La découverte des filles, les accrocs, les petites rapines, les moments de fraternité, ces bribes de vie jalonnent un récit enlevé, au style marqué par la langue de la « zone ». Ce tronçon de rue où claquent sans doute encore les éclats de rire des gamins qui ne pouvaient se douter des chemins que chacun emprunterait. Parmi eux, certains ne se sont pas vraiment rangés des voitures, formant par la suite la fameuse « bande de la banlieue sud ». Le charismatique Rodrigo, cet amateur de braquo dont la trajectoire de vie sert de clé de voûte au récit et qui fut accusé d’avoir enlevé une gamine sur la Costa del Sol… une image qui ne colle décidément ni au bonhomme ni à son code d’honneur, selon « Manu », le narrateur, son pote.
D’une charge émotionnelle indéniable, le lecteur pénètre un univers étrangement familier malgré la singularité des personnages de cette petite comédie humaine. Il faut bien toute la mémoire d’un historien pour rendre cette authenticité, et le talent d’un écrivain pour nous la rendre si proche. Dans le souvenir de nos pères, la larme qui pointe le sourire en coin, voilà l’escadron de gamins de la rue Barbès qui nous cavale entre les doigts.
Rue Barbès, banlieue sud, roman de Jean Estivill
décembre 2016, 210 pages
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