Sous le titre « Le désastre », témoignages à l’appui, un collectif de médecins du travail de l’Ain témoigne, dans son rapport 2013, d’une nouvelle aggravation de la situation en entreprise.
Lire leur rapport annuel.
EXTRAITS
… Ces histoires montrent les conséquences très dommageables des mesures de la réforme juillet 2011, notamment en ce qui concerne le changement de médecin dans une entreprise; auparavant, seul l’accord de la Commission de contrôle était requis ; actuellement le fait qu’il faille en plus l’avis du Conseil d’administration (CA) introduit un déséquilibre, une dangereuse brèche et nous sommes tentés de penser que ceci n’a pas d’autre objectif que de brouiller les pistes; ceci aboutit, on l’a vu dans le cas cité, à un invraisemblable renversement de la situation dans laquelle c’est le médecin qui est accusé, et à cette incroyable solidarité du CA avec l’entreprise qui pourtant, en témoignent les constats faits par le médecin, impose à ses salariés un management très délétère et fait preuve d’acharnement contre notre consoeur….
Autre mesure très nocive de la réforme, celle concernant le choix de l’infirmière ; la réforme n’impose plus l’accord du médecin, omission coupable, autre brèche qui ouvre la voie d’une instrumentalisation de l’infirmière du côté de la gestion au service de l’entreprise.
Une réforme qui au bout du compte se confirme dans son extrême inefficacité, et pire, allant à contre-sens de la démarche d’une authentique prévention indépendante, se plaçant à la faveur de la gestion des risques et de la couverture de la responsabilité des employeurs.
Alors qu’il fallait renforcer l’indépendance du médecin et les moyens (dont le renforcement des effectifs de médecins) appuyant ses missions, qui sont celles d’un véritable ordre public social, légitimé, inscrit dans la loi républicaine, la réforme a complètement déplacé cette mission, facilitant l’embrigadement des acteurs de santé au travail par les représentants des employeurs, canalisant ainsi les ressources au service de ceux qui génèrent les risques. Elle a dépossédé les médecins de leur part spécifique médicale, diluant leurs constats de santé au travail dans un semblant de prévention que nous estimons dangereux car il passe à côté de tout ce qui peut, justement, aider les salariés à se relever.
… S’agissant du désastre frappant le monde du travail et la santé au travail, une analyse globale permet aisément de l’identifier comme faisant partie du même ensemble de désastre général engendré par les mécanismes mortifères de recherche de rentabilité maximale immédiate, de cumul de richesses et son extrême concentration, de creusement calamiteux des inégalités, de paupérisation sans fin des populations et de raréfaction des ressources de la planète.
… Nous qui témoignons depuis plus de 20 ans sur ces innombrables atteintes à la santé en rapport avec la marche en avant de cette machine infernale, il est donné de comprendre notre infini vertige quand on voit que les leçons ne sont toujours pas tirées de ces réalités affligeantes. Non seulement les leçons ne sont pas tirées dans une perspective de mise en place de mesures urgentes pour endiguer ces phénomènes délétères ; mais comme le démontrent les récits de ce rapport, on assiste à une stupéfiante fuite en avant avec les mêmes recettes, celles-là mêmes qui ont fait la preuve de leur haute nocivité pour avoir tellement défiguré le travail et les relations au travail, mais aussi l’emploi ; pour avoir engendré le creusement insensé dans les inégalités en lien avec les facteurs professionnels et du fait de la répartition très inégalitaire des richesses : autant d’éléments d’empêchement d’une saine économie et autant de mécanismes responsables de troubles sérieux à l’encontre de la cohésion sociale et de la démocratie.