Un petit billet des Échos pose la question : « L’État, c’est qui ? » et dans la page voisine Roger-Pol Droit interroge : « Qu’est-ce qu’un tyran ? »…
Le premier relève « la longue liste des professions régaliennes ulcérées par les mépris du pouvoir ». Par pouvoir , il faut entendre Sarko soi-même et subsidiairement ses chiens de meute et exécutants divers…
Citant le philosophe Marcel Gauchet, l’auteur du billet rajoute : « la plus grande faille de Nicolas Sarkozy, c’est qu’il n’a pas le sens de l’institution » et la conclusion, alors, coule de source : « l’État, ce n’est plus l’appareil d’État puisque celui-ci est dévalué par son propre chef. Mais ce ne peut être non plus le chef lui-même puisqu’il ne se conçoit pas comme étant à la tête d’une institution. »
Autrement dit la France n’a pas à sa tête un individu qui entre dans les catégories politiques normales dans un État démocratique, même marqué par la pensée libérale ou néo-libérale…
Car s’il est bien une question que les libéraux ont traitée, c’est bien de la légitimité d’un système politique qui fait vivre ensemble les agents d’une société par l’acceptation collective d’une « contractualité centrale » dont l’État est le garant.
Un chef d’État qui dénigre systématiquement sa fonction publique et qui effectivement n’a pas « le sens de l’institution » parce qu’il croit, peut-être, que la distinction classique entre « les deux corps du roi » ne fait plus sens, est confronté à une question que, visiblement, l’occupant de l’Élysée ne se pose pas, celle de sa légitimité réelle propre, son élection ne pouvant suffire à lui en assurer une puisque les citoyens ont cru élire un Président de la République…
Approfondissant une réflexion sur les bouleversements en cours au sud de la Méditerranée, R.-P. Droit élargit la réflexion à une analyse de la nature du tyran : « Pour comprendre la nature du tyran, lire Platon. Pour sa version moderne, ajouter le Père Ubu ».
Le plus bizarre est qu’il n’est pas besoin de forcer le trait pour reconnaître dans les travers de l’omni, hyper ou ego-président qui mène la France à la catastrophe, nombre de caractéristiques généralement consubstantielles à la fonction tyrannique.
Ainsi « ses caprices deviennent des lois, ses lubies des projets nationaux »… Le nombre de lois inapplicables et inappliquées, parce qu’elles furent votées à la sauvette par une majorité de godillots effarés, parce qu’elles étaient mal écrites, parce qu’elles sont contraires à des engagements internationaux, parce qu’elles étaient une réponse, dans l’urgence supposée d’un fait divers, un pur objet de communication est devenu impressionnant. Quant à celles qui ont pu passer le filtre du Conseil Constitutionnel, en attendant pour d’autres la réponse à une QPC, elles ont toutes une caractéristique commune, elles limitent les libertés individuelles et publiques, LOPPSi 2 n’étant que l’étape actuelle de cette démolition de l’éminente dignité du citoyen et de sa souveraineté, nécessairement supérieure à celle des élus assemblés, car elle est le fondement de la leur et qu’une délégation ne subordonne pas l’un aux autres.
R.-P. D. enchaîne : « Qu’est-ce qui fait d’Ubu un tyran moderne ? […] Son vocabulaire d’ordures, ses carnages au front bas ? Insuffisant […] La nouveauté d’Ubu est de relier « pompes à phynances » et « machine à décerveler »… »
Voilà qui peut faire penser aux amis du Fouquets, à l’EPAD, à TF1, à tous les éditocrates et experts stipendiés qui encombrent les émissions de radio ou de télé…
Peut-on conclure en citant encore une fois ce philosophe : « Les tyrans modernes connaissent en effet les mécanismes bancaires et outils de communication. Ils élaborent des montages financiers tout comme ils instrumentalisent les désirs de dignité, de liberté et d’indépendance » ?
Le nôtre y rajoute la peur des invasions incontrôlées, le spectre sécuritaire… Curieux que ce qui se passe au Sud n’interroge pas davantage nos « excellences » sur leurs pratiques. Corrompus ou ineptes, nos politiciens seraient-ils trop conscients d’une proximité de nature sinon d’intensité dans la méthode, ou inconscients au contraire des ravages continus que leur politique a déclenché dans l’esprit civique et le goût du vivre ensemble qui fonde les sociétés civilisées ?
« Ubu roi » a été écrit en 1896… Sacrée modernité, mais quelle régression dans la République!