Sarkoz’îles : grands projets, petits desseins

Dernière lubie du président, formulée le 19 janvier à Saint-Denis de la Réunion : présenter désormais ses vœux spécifiquement aux Français d’outre-mer chaque année depuis un territoire ultramarin différent. Vaste programme, il lui faudra au moins un second mandat pour honorer un tel engagement. Nous voici davantage informés quant à ses intentions pour 2012… Cela dit, comment interpréter ce traitement spécifique? Y aurait-il, aux yeux du président, différents types de français ? Les citoyens d’outre-mer sont-ils considérés, pour reprendre la formule d’Aimé Cesaire, comme  » des Français à part entière ou des Français entièrement à part ? « .Étrange initiative, pour ne pas dire inquiétante, de la part d’un président censé représenter l’ensemble des Français.

Tout aussi inquiétant, le coût de cette escapade d’un jour à la Réunion : deux hôtels de luxe, trois avions, plusieurs cohortes de forces de l’ordre appelées en renfort depuis la métropole, etc. , le tout pour assurer un déplacement présidentiel officiel qui, vu de la Réunion, ressemble davantage à une campagne électorale destinée à soutenir la liste UMP aux élections régionales de mars 2010. En évitant soigneusement d’être accueilli par l’un ou l’autre des présidents des deux collectivités territoriales (à majorité de gauche), le président Sarkozy s’assoit délibérément sur les usages protocolaires républicains. En s’affichant constamment au milieu des seuls barons locaux UMP, candidats aux élections de mars, monsieur Sarkozy donne l’image d’un président partisan, contraire au rôle d’arbitre que lui confère l’esprit de la constitution.

Le choix de la Réunion n’est pas anodin. Pas de Domota et de LKP guadeloupéen dans les parages, le mouvement mis en place pour lutter contre la vie chère à la Réunion (COSPAR ) utilise des formes de protestation plus traditionnelles : le séjour n’en sera que plus tranquille, à quelques charges policières et gaz lacrymogènes près quand même. D’autre part, monsieur Sarkozy est un adepte de la méthode Coué : il a obtenu son pire résultat à l’élection présidentielle à la Réunion (36,3%) : il mettra un point d’honneur à ce que la droite locale lave l’affront et, cerise sur le gâteau, empêche ainsi toute possibilité de grand chelem de la gauche aux régionales. On a les victoires que l’on peut!
Le président a aussi besoin de faire oublier le récent échec de la mise en place de la taxe carbone : que pouvait-il trouver de mieux pour  » reverdir » son blason que de s’approprier le temps d’une journée cette vitrine du développement durable qu’aspire à devenir le territoire réunionnais?

Les vœux formulés pour l’outre-mer par le président, au-delà de quelques effets d’annonces, accentuent cependant la rupture avec les pratiques de ses prédécesseurs. Avec Sarkozy semble s’achever le cycle de la départementalisation. Place à celui des expérimentations et des initiatives à géométrie variable, « liberalism is back »! « Fin de l’assistanat », « nouveau modèle de développement moins dépendant de la métropole » s’inscrivent dans la lignée des propos tenus lors de la convention nationale de l’UMP (juillet 2006) alors présidé par Nicolas Sarkozy. On y enterra définitivement toute perspective de rattrapage pour les DOM. Mayotte, département en 2011, sera la seule exception où l’État aura à intensifier son action pour créer les conditions d’un développement rapide du territoire. Partout ailleurs, les mouvements centrifuges devraient s’amplifier. Le prochain quinquennat verra si la ligne jaune à ne pas franchir en matière d’évolution institutionnelle fixée par le président (l’indépendance) est aussi intangible qu’il le souhaite. La Nouvelle Calédonie pourrait bien être le premier territoire à explorer les confins de l’autonomie, voire à les dépasser. D’autres outre-mers pourraient, par réaction en chaîne, explorer d’autres formes de gouvernance, et flurter avec les lignes jaunes, un jour…