Texte publié dans le n°159 de Combat Républicain.
François Fillon a adressé une lettre aux Maires pour tenter de justifier le projet gouvernemental de transformation du statut de la Poste. Pierre Carassus, Maire de Vaux-le-Pénil (Seine-et-Marne), lui répond.
Monsieur le Premier Ministre,
J’accuse réception de la lettre que vous avez adressée aux Maires, relative au statut de la Poste et datée du 16 octobre. Treize jours avant votre envoi, 2,3 millions de Français ont participé à une votation citoyenne sur le sujet, à l’issue de laquelle une très forte majorité s’est prononcée contre le projet gouvernemental. Mais depuis, vous faites la sourde oreille à la demande populaire, vous refusez la tenue d’un référendum sur l’avenir de cet important service public, et vous vous contentez, en guise de réponse à l’inquiétude de nos concitoyens, d’une lettre circulaire à l’intention des élus locaux afin de les « sensibiliser sur (votre) démarche ».
Bien que votre courrier relève de la communication à sens unique – un genre fort prisé par votre gouvernement -, le Maire d’une commune de 11 000 habitants que je suis croit utile de vous répondre. Car je suis très « sensible à votre démarche », Monsieur le Premier Ministre, comme je le suis à la politique de démantèlement systématique des services publics que l’Elysée et vous-même menez depuis 2007. J’y suis d’autant plus sensible que j’ai longtemps travaillé au tri postal avant d’exercer les fonctions de Maire de Vaux-le-Pénil et, de 1997 à 2002, de député de la troisième circonscription de Seine-et-Marne. C’est pourquoi j’ai soutenu et participé à la votation citoyenne du 3 octobre et que j’entends bien poursuivre le combat contre la privatisation rampante de la Poste conduite par votre gouvernement.
Car en dépit de vos affirmations, la transformation de la Poste en société anonyme est bien le premier pas franchi vers sa privatisation. D’ailleurs, à quoi bon changer de statut s’il ne s’agit pas, à terme, de modifier la composition du capital ? Le cas de France Télécom est à cet égard exemplaire. Transformée en société anonyme en 1996, cette entreprise a vu son capital « s’ouvrir » progressivement, au point que l’Etat n’y est plus aujourd’hui qu’un actionnaire minoritaire. Et l’on connaît, hélas, les conséquences de ce retrait pour les salariés…
Il faut rappeler aussi qu’en 2004, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Economie et des Finances, s’était publiquement engagé à ce que GDF ne soit jamais privatisé. Aujourd’hui, l’Etat ne détient plus que 35,7% du groupe GDF-Suez. Et vous voudriez que les Français croient en vos promesses !
Pour justifier la transformation du statut de la Poste, vous mentionnez l’ouverture complète du marché postal européen prévue au 1er janvier 2011. Or les directives de l’UE, aussi contraires soient-elles au service public, n’imposent aucun statut aux opérateurs. C’est donc le choix de votre gouvernement que de le modifier.
Certes, la Poste doit être modernisée, mais cette nécessité n’implique nullement l’ouverture du capital de l’entreprise. Quant à l’apport de 2,7 milliards d’euros de capitaux publics, il permettrait au gouvernement, écrivez-vous, d’ « investir massivement dans la Poste ». Voilà une affirmation osée, au regard des milliards avancés aux banques, des exonérations fiscales accordées aux entreprises et aux ménages les plus aisés. Dernier exemple en date : la commission des finances de l’Assemblée Nationale a chiffré à 20,5 milliards d’euros le manque à gagner par l’Etat dû à l’allégement de la fiscalité des plus-values depuis 2007. Et les 2,7 milliards accordés à la Poste constitueraient « un investissement massif » !
Pourtant, les missions accomplies par le service public postal sont indispensables. Elles contribuent à l’aménagement du territoire, renforcent le lien social. Or les pouvoirs publics ont laissé se dégrader la qualité de ce service public. Depuis 2002, plus de 6 000 bureaux de poste sur 17 000 ont été mis en activité réduite, ce qui a permis au gouvernement de supprimer 50 000 emplois dans l’entreprise. La population et les salariés sont les premières victimes de ce désengagement de l’Etat, qui se traduit par l’espacement des tournées, des délais croissants de livraison des courriers, des réductions d’horaires, l’allongement des files d’attente…
Votre gouvernement vient de lancer un débat sur « l’identité nationale ». S’il s’agit de faire apparaître le je-ne-sais-quoi qui distinguerait les Français du reste de l’espèce humaine, ce débat est au mieux inutile, au pire pernicieux. Notre seule identité, forgée par l’Histoire, c’est la République, et sa vocation est d’être universelle. Les services publics en constituent le socle : ils garantissent un accès égalitaire à chacun, permettent la satisfaction des besoins fondamentaux de tous les êtres humains. C’est le programme du Conseil National de la Résistance, présidé par le général De Gaulle, qui en a le mieux défini la nature et étendu la portée. Depuis 1946, ces principes sont inscrits dans le préambule de la Constitution. Force est de constater que le chef de l’Etat et votre gouvernement leur tournent le dos.
Mais puisque vous insistez sur l’urgence de ce débat, pourquoi ne pas appeler les électeurs à se prononcer, par référendum, sur l’avenir de la Poste, et plus généralement, sur celui de nos services publics ? Il ferait bon savoir qui, du néo-libéralisme ou de la République, a la faveur des Français : ainsi définiraient-ils leur identité.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Premier Ministre, l’expression de ma considération distinguée.