Le débat fait rage autour de la réforme du quotient familial et le moins que l’on puisse dire c’est qu’au rythme des renoncements, reculades et autres enterrements de première classe, de la grande révolution fiscale reprise par le PS et son candidat, il ne restera plus grand-chose. Or, si nous sommes opposés à certains points de cette réforme globale (1)fiscalisation d’une partie du financement de la protection sociale par la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu par exemple, échelle de progressivité de l’impôt trop faible, etc., elle avait au moins le mérite de remettre la question de l’impôt et surtout de sa fonction redistributive au cœur de la campagne. Alors que pendant le quinquennat 2012-2017 nous fêterons les cent ans de l’impôt sur le revenu et que celui-ci, à coup de niches fiscales et autres suppressions de tranches d’imposition, pèse de moins en moins dans le budget de l’État, il était temps que la gauche s’y réintéresse. Las, Michel Sapin a aussi annoncé l’abandon de la suppression du quotient conjugal.
Le quotient conjugal, c’est quoi ?
C’est le fait, pour un couple (Marié ou Pacsé) de faire une seule déclaration d’imposition et de voir administration fiscale les imposer non pas sur le revenu total du couple, mais sur la moyenne des revenus du couple, résultat multiplié par 2.
Prenons un exemple pour être plus clair :
Un couple où A gagne 24 000 € par an et B 6000 €, l’impôt n’est pas calculé sur 30 000 €, mais sur 15 000 € (revenus moyens du couple) puis le résultat est multiplié par deux pour arriver à l’impôt à payer. Bref, l’administration ne tient pas compte de la disparité de revenus et dans le cadre d’un impôt sur le revenu progressif cela favorise les couples mariés ou pacsés avec disparité de revenus par rapport aux autres couples. Cela revient à discriminer les autres formes de couples !
Le quotient conjugal, ou la traduction fiscale du patriarcat
Mais cela favorise également, le conjoint avec les revenus les plus élevés dans le couple, et devinez quoi, c’est très majoritairement des hommes. Cela a plusieurs conséquences :
- Cela défavorise le travail des femmes (2)qui n’a jamais entendu : « ma femme a arrêté de travailler, car son salaire partait en impôt et en coût de garde pour les enfants » car cela augmente leur taux marginal d’imposition quand elle travaille et quand elle souhaite reprendre une activité (3)l’exemple caricatural étant celui d’une femme qui reprend une activité à temps partiel avec un conjoint gagnant 5 SMIC : son salaire sera proche de ce qu’elle faisait « économiser » en impôts et en plus elle n’a pas le droit à la Prime pour l’Emploi.
- Cela ne réduit pas le rapport de force économique au sein du couple. Et cela n’est pas neutre sur l’égalité hommes-femmes. Pour reprendre l’exemple de notre couple formé par A et B, où A est presque toujours un homme, on a un « rapport de force économique » de 4, A gagne 4 fois plus que B (4)24 000 €/6 000 €, si peu de personnes font ce type de calcul, cela est très loin d’être neutre en terme de domination, or avec une individualisation de l’impôt, ce rapport tombe à environ 3, A payant 3000 € d’impôts et B percevant 1000 € de prime pour l’emploi. L’impôt compense donc en partie une inégalité à l’intérieur du couple.
Or quand vous avez des décideurs dans les entreprises qui sont presque tous des hommes, mariés, la cinquantaine, faisant donc partie d’une génération où le travail des femmes était moins généralisée et encore plus sous-payé que maintenant, et que ces hommes vivent cette situation fiscale, il n’est pas compliqué de comprendre que cela ne les incite pas à voir le salaire des femmes de leur entreprise comme un salaire d’appoint pour leur mari respectif. En conséquence, cela freine l’égalité salariale hommes-femmes.
Il est donc important que la gauche se saisisse de cette question, à la fois pour améliorer l’égalité entre tous les couples (et donc ne pas favoriser certaines formes d’union) et pour améliorer l’égalité hommes-femmes.
Il est important que cela se fasse dans une réforme globale pour qu’on puisse en mesurer toutes les conséquences avec comme objectif de redistribuer des plus riches vers les classes populaires.
Mais pour cela, il faut des candidats qui ne reculent pas à la première bourrasque…
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Pour aller plus loin, un document du Haut Conseil à la Famille :
HCF-ANNEXE_3_Tresor-2 (Annexe de « ARCHITECTURE DES AIDES AUX FAMILLES: QUELLES EVOLUTIONS POUR LES 15 PROCHAINES ANNEES ?) : les simulations sur la suppressions du quotient conjugal sont pages 91 et suivantes.
Notes de bas de page
↑1 | fiscalisation d’une partie du financement de la protection sociale par la fusion de la CSG et de l’impôt sur le revenu par exemple, échelle de progressivité de l’impôt trop faible, etc. |
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↑2 | qui n’a jamais entendu : « ma femme a arrêté de travailler, car son salaire partait en impôt et en coût de garde pour les enfants » |
↑3 | l’exemple caricatural étant celui d’une femme qui reprend une activité à temps partiel avec un conjoint gagnant 5 SMIC : son salaire sera proche de ce qu’elle faisait « économiser » en impôts et en plus elle n’a pas le droit à la Prime pour l’Emploi |
↑4 | 24 000 €/6 000 €, si peu de personnes font ce type de calcul, cela est très loin d’être neutre en terme de domination |