Taxe carbone : intox ou provoc ?

Le fait que la taxe carbone soit une épine dans le pied du gouvernement n’est un secret pour personne. Le fait que le PS s’en saisisse pour se faire mousser et régler des prises de position de pouvoir internes à sa structure, sans rien proposer de structurant en retour, est aussi évident pour tout le monde. Le fait que la direction politique des Verts ne sache plus se démarquer politiquement qu’en s’orientant vers de la surenchère « verdiste » est noté par l’ensemble de la classe politique.
Mais, car il y a toujours un mais, il faut bien repartir d’éléments concrets pour essayer d’y voir clair et tenter d’avancer.

Une épine

Par la volonté de Nicolas Sarkozy pour des raisons électoralistes essentiellement, le gouvernement a mis en place un Grenelle de l’environnement. Les participants à ce sommet national sur les questions environnementales, de bonne foi pour la plupart, ont proposé une multitude de solutions en souffrance d’application, car aucun industriel n’envisage sérieusement de les mettre en application.

Entre-temps se sont mises en place les commissions :

  1. Joseph Stiglitz et Armatya Sen, prix Nobel d’économie, en charge de développer une « réflexion sur les moyens d’échapper à une approche trop quantitative, trop comptable de la mesure de nos performances collectives » et d’élaborer de nouveaux indicateurs de richesse,
  2. « taxe carbone », présidée par Michel Rocard (PS), plus précisément nommée « contribution climat-énergie », afin d’envisager pour la France de combler son retard en matière de taxation de l’énergie.

Le Grenelle de l’environnement comme la commission Stiglitz-Sen ont pu brosser les limites du système et désigner la croissance comme un problème, sans aller au fond de la question… mais la tentative est à noter, quand la commission « taxe carbone » n’a fait que chercher des solutions financières sans tenir compte de l’environnement et des causes.

Il faut analyser au passage le score de la liste Europe Ecologie lors des élections européennes de juin 2009. Ce score a pour beaucoup modifié la composition du paysage politique français et a conduit les différents partis politiques à envisager la question de l’environnement de manière plus ou moins heureuse.
Mais aujourd’hui l’UMP et ses partenaires sont en panne d’inspiration pour donner de véritables orientations environnementales à leur politique, autres qu’une taxation du plus grand nombre, histoire de faire culpabiliser d’un côté, de remplir les caisses de l’État de l’autre, et de rappeler un vieux principe essentiel pour les intérêts qu’ils défendent : faire payer un peu à beaucoup de personnes, plutôt que beaucoup à un petit nombre.

Rappel

Il faut revenir aux origines de la notion de développement durable inclus en substance dans le rapport Meadows (Halte à la croissance ?) en 1972.

Le club de Rome, composé de grands commis des structures internationales, d’entrepreneurs, d’associatifs, de scientifiques, d’économistes, de fonctionnaires nationaux et internationaux, à l’initiative d’ industriels qui financent leurs travaux, a pour but de « proposer des solutions ayant trait à la « gouvernance » mondiale dans son aspect environnemental ».
Le principal créateur de ce club est David Rockefeller.
On peut en donner une lecture : le capital s’inquiète de l’épuisement des ressources naturelles nécessaires à sa propre croissance ; le souci n’est pas humain mais financier.

Les grandes lignes du développement durable seront de fait développées quelques années plus tard (1987) dans le rapport Brundtland faisant apparaître l’interconnexion entre l’environnement, l’économie et le social.

Nous sommes en 2009 et le capital n’arrive toujours pas à régler cette équation, d’où la nécessité de grandes annonces pour faire se lever un rideau de fumée.

La mousse

Au parti socialiste, sur la question, le débat interne se règle par voie de presse. On comprend bien que ce sont d’autres enjeux qui se jouent là, à plus long terme, ainsi qu’une incapacité au dialogue.
Mais quelque choix que fasse le PS, il apparaît que les questions de fond (la croissance, le productivisme, le libéralisme, le capitalisme…) ne remontent pas à la surface.
Passeront-ils le pas ?
La lutte est atroce au sein de cette structure en fin de vie. Et puis les Verts les talonnent, certainement pas pour longtemps, tant les questions écologiques deviennent incontournables.
Mais l’écologie est-elle compatible avec le libéralisme ?
Ne pas répondre à cette question conduira à des solutions partielles où le consommateur, la petite entreprise, seront pris en otage et serviront de « pompe à fric ».
Même si nous ne connaissons pas encore tout le détail des solutions préconisées par la commission « contribution climat-énergie » ni l’arbitrage présidentiel, il semble que nous nous orientons inéluctablement vers une taxation des consommateurs et des petites entreprises, tout en épargnant les structures industrielles et financières internationales qui dépendent du marché des gaz à effet de serre.
Pour reprendre ce qui a déjà été écrit par Aurélien Bernier en d’autres lieux : « Le principe est en effet de taxer les énergies fossiles en fonction des gaz à effet de serre qu’émettent leur combustion à hauteur de 32 euros par tonne de carbone dans un premier temps, puis d’accroître progressivement le niveau des prélèvements. Les factures de carburant, de gaz, de fuel et peut-être d’électricité, augmenteront donc à partir de 2010. Le gouvernement tente de faire passer la pilule en promettant un chèque «vert» censé compenser la taxe pour les ménages les plus modestes. Mais la ficelle est grosse. D’une part, cette compensation sera calculée sur les consommations directes d’énergie. Or, si le prix de l’énergie augmente, les prix des biens et des services augmenteront proportionnellement. Le chèque vert ne compensera jamais intégralement ces hausses. D’autre part, ce type de mesure peut prendre fin à tout moment. Aucune garantie n’a été donnée sur la pérennité de ce chèque, et nous pouvons parier qu’il sera de courte durée. Enfin, la baisse des cotisations patronales est déjà programmée, avec ses conséquences prévisibles : aucune embauche, aucune augmentation de salaire, mais une bénédiction pour les profits des grands groupes

C’est oublier bien vite, et mentir à la population, que ce sont les grands conglomérats industriels et financiers qui organisent le commerce mondial en dépeçant la terre de ses ressources.
C’est oublier bien vite que cette taxe carbone les exonère, pour leur permettre de fonctionner sur le système des droits à polluer échangeables, par un jeu boursier de quotas carbone (1) Idem supra .

Alors le parti socialiste est-il prêt à nommer les véritables responsables de la crise écologique, sans culpabiliser les consommateurs ? Non. Et pourtant de véritables mesures doivent être mises en place pour permettre aux consommateurs de réorienter leur consommation. Mais pour cela il faut des schémas directeurs dont seuls les États sont en charge, mais pour cela il faut une véritable volonté politique pour se battre contre le libéralisme.
Le parti socialiste y est-il prêt ?

L’écoblanchiment (green washing)

L’émergence attendue et encouragée d’Europe Écologie lors des dernières élections européennes, avec l’aide du film documentaire « Home » commandité par l’État français et des grandes entreprises, est un grand éclat de rire et un pied de nez (2) Il n’est pas possible de réfléchir à cet épisode sans penser aux affiches de 1968 où un diable rouge éclate de rire sur les murs de Paris. On a pu se rendre compte des résultats à terme de Mai 68 sur le social et des places accordées aux amis des amis, ceux qui ne remettaient pas trop en cause l’ordre établi. .

L’opération des élections européennes 2009 a été rondement et finement jouée, avec tout d’abord une aide non dissimulée au NPA pour affaiblir la gauche de gauche puis une promotion officielle des thèses sur le développement durable et l’écologie, dans la droite ligne du Grenelle, l’environnement, via des budgets d’entreprises internationales et un film larmoyant et culpabilisant.
Aujourd’hui Europe Écologie, ou les Verts on ne sait trop qui est qui, souhaite capitaliser son score aux élections européennes. Rien de plus normal. Avoir des élus, influer sur la vie politique, mettre en place le rapport de forces n’est-il pas l’objet de tous les groupes politiques ?

Les déclarations sur la taxe carbone sont intéressantes en provenant de ce bord vert : elles inclinent à faire porter le poids de la responsabilité de l’utilisation des énergies fossiles et polluantes aux consommateurs en évitant les producteurs.
Ne pas faire entrer dans ces orientations les grandes entreprises internationales (Elf Total par exemple), EDF en France, en faisant supporter la responsabilité seulement par le consommateur n’est pas simplement accusateur et culpabilisant mais cela rapproche l’écologisme porté par ces groupes de pensée d’une religion écologiste au service du capitalisme. Dans le cadre de l’application d’une taxe sur la production carbone l’origine de cette production, on ne peut omettre les incitations qui sont faites pour cette consommation, le manque de solutions économes d’énergies proposées, la responsabilité au final du dogme libéral et de son corollaire le productivisme.

Sans exclure de la taxe carbone les utilisateurs, pour les inciter à réfléchir à leur consommation, il convient d’infléchir les grands producteurs pour les inciter à proposer sur le marché d’autres types de produits plus économes, mais qui surtout intègrent dès en amont de la fabrication les coûts reportés sur la collectivité.
On le voit, les intégrismes sont dangereux d’où qu’ils viennent et la laïcité doit faire entendre sa voix dans ce domaine aussi.

Il suffit de reprendre le dernier communiqué des Verts du 28 août dernier sur la question pour se rendre compte que les industriels sont épargnés et que seule une taxe importante sur les ménages doit faire avancer les choses. En fait les Verts et Nicolas Sarkozy sont au moins d’accord sur ce point :
« Alors que la conférence de consensus, présidée par Michel Rocard, préconisait de fixer la Contribution Climat Energie à 32 euros la tonne de CO2, le gouvernement s’achemine vers un prix très faible qui ne permettrait pas d’infléchir durablement les comportements.
La proposition de la conférence de consensus avait pourtant fait l’objet d’une large consultation et était déjà très en retrait par rapport à d’autres pays européens comme la Suède, où le prix de la tonne de C02 est de 108 euros. La France, dont la fiscalité environnementale est déjà l’une des plus faibles en Europe (21ème sur 27 selon l’OFCE avec seulement 2,3 % du PIB), risque d’accentuer son retard en la matière. On est bien loin de la « révolution » à laquelle Nicolas Sarkozy appelait dans son discours de clôture du Grenelle de l’Environnement. Faute de promouvoir clairement un chèque vert de compensation pour les ménages les plus modestes, le gouvernement préfère affaiblir sa taxe Carbone, pour n’en faire qu’une mesure très en deçà des engagements nécessaires pour faire face aux enjeux climatiques et diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050. »

S’en remettre qu’aux consommateurs pour diminuer les émissions de gaz à effets de serre ne sera pas suffisant.
Ne pas incriminer le système productiviste actuel est un manque de responsabilité politique.
Les Verts ou Europe Écologie accompagnent le système capitaliste sans le dire.

Quoi d’autre ?

Des voix se font entendre, faiblement, pour dénoncer le système financier et industriel qui nous pressure et nous fait croire qu’en appliquant des taxes de surface nous pourrons poursuivre notre chemin tranquillement.
Le libéralisme aurait-t-il fini de manger son pain blanc ?
Instaurer une taxe carbone semble une chose raisonnable à la condition qu’elle ne remplace pas d’autres taxes dans le flot des choix libéraux visant à diminuer les impôts à la moindre occasion (diminution avant tout pour les plus haut revenus pour un report sur les plus bas salaires par tout un tas d’artifices, dans la lignée de l’école de Chicago).

Mais avant de réfléchir à l’instauration d’une taxe carbone, il faut ré-internaliser les coûts de traitement des rejets dans la nature au sein des entreprises polluantes et donner de véritables directives avec des plans définis, quantifiés et arrêtés sur les modifications industrielles à faire pour éviter les rejets dans la nature. Un contrôle et des sanctions réelles permettront de rapidement arriver à des résultats efficaces. Peu importent les avantages concurrentiels dans ce cas.

Pour cela une taxe forte aux frontières sur les articles produits de manière polluante est indispensable pour inciter les autres pays à faire l’effort dans ce cadre-là.
Supprimons la bourse aux gaz à effets de serre, et rendons aux États le choix de régler ces problèmes écologiques, tout en donnant des directions au niveau international.
L’OMC, même si à terme elle doit disparaître dans sa définition actuelle, doit accepter que des règles en matière d’environnement comme de social viennent bousculer les sacro-saintes tables du libre-échange.
Il ne doit en aucun cas y avoir de redistribution de ces taxes vers les entreprises. Cet apport financier doit permettre d’une part de payer les contrôles d’une manière indépendante, mais aussi permettre à l’État de mener une politique environnementale audacieuse, vraiment créatrice d’emplois.

Revenir à des transports en commun efficaces et peu polluants, rechercher une urbanisation humaine et réfléchir à des entreprises à taille humaine de proximité doit aussi permettre de limiter largement l’utilisation énergétique et donc les productions de gaz à effets de serre.
Reconsidérer notre manière de consommer et de nous déplacer permettra aussi de redéfinir notre environnement et notre rôle social.

Une fois ces actions mises en place, mais pourquoi pas en parallèle, on pourra introduire des contraintes financières, ou bien des mesures incitatives pour que les consommateurs se tournent rapidement vers des solutions économes et pour appuyer les décisions envisagées par les États.
Travailler dans une démarche démocratique et participative, à l’abri des pressions des lobbies, en particulier financiers et industriels, permettra aussi d’accélérer le processus à tous les niveaux.

Ce ne sont que quelques pistes qui accompagnent le refus du libéralisme. Il faudra bien un jour se résoudre à dessiner un nouveau paradigme qui tentera l’équilibre entre l’environnement, le social et l’économie au service de l’Homme.

Sommes-nous à l’aube de cette journée ?
Il nous appartient d’en décider !

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Idem supra
2 Il n’est pas possible de réfléchir à cet épisode sans penser aux affiches de 1968 où un diable rouge éclate de rire sur les murs de Paris. On a pu se rendre compte des résultats à terme de Mai 68 sur le social et des places accordées aux amis des amis, ceux qui ne remettaient pas trop en cause l’ordre établi.