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Travailler le dimanche : d’une contradiction entre travailleur et consommateur et de l’affaiblissement des normes sociales

« Après la décision du tribunal de commerce de Bobigny ordonnant à quinze magasins des chaînes Castorama et Leroy-Merlin de fermer le dimanche, le Medef n’a pas hésité : « Quadruple peine pour le pays », a tranché son président, Pierre Gattaz, car elle pénalise les consommateurs, les salariés, les entreprises et l’emploi. » (1)Le Monde.fr 27 septembre, « Le débat sur le travail dominical et nocturne prend une tournure politique ».
Aussitôt, la candidate parisienne NKM embraye, entre hypocrisie et naïveté : « étendre », et non « généraliser », l’ouverture dominicale « permettrait de créer au moins dix mille emplois supplémentaires ». Et propose dans la foulée d’autoriser le travail nocturne , « dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente » précise le député F. Lefèvre.
Pas en reste, Le Figaro surenchérit : « Libéraliser l’ouverture dominicale pourrait créer jusqu’à 100.000 emplois » ! Ce chiffre, largement repris dans les médias, provient d’une étude menée aux Pays-Bas, selon laquelle l’extension de l’ouverture dominicale aurait créé des emplois car le temps de shopping a augmenté et les consommateurs ont dépensé plus. Pour la France, le président du Cercle des économistes et chef économiste chez Rothschild, Jean-Hervé Lorenzi, élargit même le raisonnement à l’ensemble de la population: « Les Français ont la capacité de consommer plus, en puisant dans leur abondante épargne. Il faut leur en offrir la possibilité en ouvrant davantage les commerces. » (2)Le Figaro.fr du 28 septembre. Certes, ce sont des emplois de seconde zone, aurait-il pu continuer, mais ne vaut-il pas mieux travailler mal payé, que ne pas travailler et être assisté ? L’alliance patrons-économistes de marché joue sa carte à fond, c’est logique.
Plus surprenante a priori est la révolte des salariés contre les syndicats : se disant volontaires, ils réclament de pouvoir continuer à obtenir un complément de salaire. Le Figaro. fr, toujours, en conclut que « Paradoxales, les actions judiciaires de Bricorama et des salariés de Sephora prouvent l’ampleur des enjeux économiques et sociaux du travail le soir et le dimanche. Ils sont d’autant plus cruciaux en temps de crise, à l’heure où le gouvernement peine à relancer la consommation et l’emploi et qu’il cherche à redresser l’attractivité de la France. Pour Bricorama, l’ouverture dominicale dope de 20 % les ventes des magasins concernés. »
Le travail du dimanche aurait donc le double avantage de créer des emplois et d’améliorer le povoir d’achat des salariés. Pourtant, les syndicalistes du Clic-P protestent fortement pour maintenir le repos dominical comme la norme. Le gouvernement a dû se saisir du dossier, en rappelant certes le non de principe au travail de nuit, mais en mettant en place une Commission chargée de mettre de l’ordre dans le maquis réglementaire plus ou moins cohérent résultant des dispositions de la loi Maillé de 2009.
En réalité, derrière la question du travail nocturne ou dominical, il y a celle du grignotage progressif des normes sociales de travail. C’est qu’en affaiblissant le mouvement social, les politiques néo-libérales parviennent à mettre les salariés en concurrence, obligés qu’ils sont de chercher des solutions de survie individuelles. Et la vieille stratégie du « diviser pour régner » permet alors aux entreprises de revenir sur les garanties du Code du travail touchant aux horaires, salaires, travail de nuit, etc.

1 – La mise en concurrence des salariés : de l’emploi au marché du travail

La réaction des employés de Sephora ou Castorama et Leroy-Merlin s’explique par la nature de leurs emplois : précaires, à temps partiel, mal payés, des emplois dont ces salariés ont trop besoin pour les refuser. Certes, cela peut fort bien convenir à certains, les étudiants principalement. Mais la plupart subissent la situation, faute de moyens de vie. Les normes sociales de consommation exigent aujourd’hui un minimum de revenu que n’assurent plus beaucoup de « petits boulots », car les frais fixes des ménages sont sans cesse croissants, notamment le coût du logement. La « société de consommation » tant décriée en d’autres temps est bel et bien une réalité. Une situation que résume bien Gérald Fillon, porte-parole des Bricoleurs du dimanche : « On a le porte-monnaie ouvert toute l’année, et plus aucun moyen de le remplir. »
Pour la plupart de ces salariés, la sobriété n’est pas un choix, seuls ces « horaires atypiques » peuvent leur donner un pouvoir d’achat qui leur permette de vivre décemment, d’où le « volontariat forcé » pour décrocher le job. Si ce travail était si gratifiant, le « turnover » ne serait pas aussi fort : en moyenne, de source syndicale, les salariés restent un an. L’aliénation est à son comble, comme au temps de Marx et de l’armée de réserve industrielle (ici, commerciale).
L’argumentation patronale, reprise dans les médias complices, met en avant un double objectif : la défense de la liberté et celle de l’emploi. D’une part, selon les employeurs, les travailleurs du dimanche sont tous volontaires, conformément à la loi, et les clients demandent l’ouverture en dehors de leurs propres heures de travail. D’autre part, « Selon les propriétaires des adresses préférées des touristes, l’ouverture dominicale permettrait de créer au moins 5 000 emplois. » , voire 100 000, pourquoi pas ! (3)Le Figaro.fr, 28 sept. « Ces salariés qu’on empêche de travailler ».

Cette argumentation est plus que fragile. D’une part, le chiffre de 100 000 annoncé en titre par Le Figaro et largement repris, repose sur une extrapolation plus que hasardeuse, qui applique à la France les pourcentages moyens d’emplois supplémentaires constatés au Canada et aux É-U. Or, les modes de vie et de consommation sont très différents et les effets sont difficilement comparables. Dans le corps de l’article, cependant, il ne s’agit plus que de 34 000 à 100 000 emplois de plus, il y a de la marge !, et il est honnêtement rappelé que : d’une part, ce sont des emplois essentiellement précaires, mal payés ; d’autre part, selon le Crédoc, cela détruirait de 6 800 à 16 200 emplois dans l’alimentaire. On sait bien que l’installation d’une grande surface fait disparaître le petit commerce, jusqu’à 50 km à la ronde : où sont passées les boulangeries, épiceries, quincailleries, etc. rurales ? rejoindre les stations-service, sans doute.
De plus, ce raisonnement se situe dans le cadre de l’économie de marché, dont la théorie fait aller de pair liberté et emploi, mais elle est bien la seule. On sait depuis Keynes, mais aussi Marx, que le volume de l’emploi est fixé globalement, essentiellement par le revenu global consommable. Comme l’ouverture du dimanche ne va pas mettre beaucoup d’argent dans les poches des consommateurs, cela ne va pas compenser les revenus effacés  par le désastre du petit commerce, et les emplois gagnés ici ne compenseront pas ceux perdus là, sans compter que la productivité dans la grande distribution est bien supérieure à celle du commerce de détail. Quant au risible argument du temps qui permet de dépenser son argent au lieu de l’épargner, seule possibilité théorique de voir arriver ces nouveaux emplois, il ne saurait concerner que ceux qui ont effectivement de l’épargne disponible et « dépensable », soit ceux appartenant à la classe moyenne plus ou moins aisée, ceux justement dont les politiques néo-libérales laminent consciencieusement le pouvoir d’achat, depuis des lustres, et maintenant visés par le matraquage fiscal.
À ce propos, l’argument touristique fleure bon néo-colonialisme et féodalisme : quand on entend un journaliste de radio et télé expliquer que quand il est allé passer quelques jours en Grèce et y a dépensé son argent, il a fait travailler le commerce local heureusement ouvert à toute heure, on se demande s’il croit vraiment que si la situation en Grèce n’était pas ce qu’elle est, avec une économie corrompue et sous-développée, il en serait ainsi. Par ce « raisonnement », il se situe dans une économie de captation de la richesse des autres, une économie dans laquelle le peuple vit de la retombée de miettes, non du fruit de son travail. Cela fait penser à la Fable des abeilles dans laquelle Bernard de Mandeville expliquait que les futiles dépenses des riches dames, de même que la prodigalité du libertin, ne sont pas un vice privé, donc condamnable, mais bien une vertu publique, louable : grâce à elles, la couturière, la mercière, le tailleur, le parfumeur, le cuisinier, etc., peuvent subvenir à leurs besoins. À l’époque (début du 18e s.), on emprisonnait pour moins que ça, et Mandeville en fut effectivement menacé par des juges, qui déclarèrent sa fable « nuisible ». Aujourd’hui, il serait glorifié par les ultra-libéraux (Hayek reconnut en lui un pionnier) et invité dans les talk-shows de la télé. L’histoire a maintes fois montré qu’une telle société, fondée sur les retombées de la richesse des puissants, s’effondre piteusement quand les puissants le sont moins.

Essayant de résister, les syndicats protestent contre la volonté d’assouplir le travail du dimanche ou du soir, au motif que cet assouplissement serait doublement nuisible, aux salariés et à la vie sociale : « Considérant que “le travail de nuit est néfaste à la santé, y compris des jeunes”, Éric Scherrer, porte-parole de Clic-P, s’affirme “contre le travail le dimanche, qui est destructeur du monde associatif et change la nature de la société. Nous défendons un acquis social et une organisation globale…” Que tous les salariés concernés soient volontaires (c’est une obligation légale) pour travailler le soir ou le dimanche, où ils gagnent plus (une autre obligation légale), le laisse de marbre. “Se porter volontaire est obligatoire pour décrocher un contrat de travail», prétend Éric Scherrer.” » On notera le vocabulaire : prétend pour l’un, le syndicaliste, sont pour l’autre, le journaliste ! et tentera de deviner à quel camp appartient ce dernier.
Les syndicats seraient donc figés sur une position de principe, totalement ringarde, tandis que les salariés défendraient leurs intérêts et leur liberté de choix. Il y a certes un problème des syndicats, qui abandonnent les marges pour défendre le cœur, plus résistant car relativement protégé : cf la multiplication des coordinations, etc., ce que la théorie du marché théorise en insiders et outsiders. Désemparés, les précaires en viennent alors à affronter les protégés, dans le même processus qu’en face de la refiscalisation des heures supplémentaires. (4)Dans le droit fil de cette vision libérale, Le Monde a ainsi pu s’offrir par l’intermédiaire de son dessinateur emblématique Plantu, qu’on a connu mieux inspiré, un parallèle ignomineux entre Islamorama (« Je t’interdis d’aller à l’école » dans la bouche d’un intégriste islamique s’adressant à une petite fille portant foulard) et Castorama (« Je t’interdis d’aller travailler le dimanche », dans celle d’un syndicaliste CGT s’adressant à une jeune femme) !

Néanmoins, malgré leurs faiblesses, les syndicats défendent le modèle social, car la « réalité » sociale ouvre aux employeurs une opportunité de rogner un peu plus encore le Code du travail, constitutif du vivre ensemble. Le grignotage est permanent depuis le début de la crise, l’antienne de la théorie du marché appliquée à l’emploi étant que la flexibilisation du marché du travail ferait tomber tous les obstacles à l’embauche. Dans la conception néo-libérale de la société, l’emploi est un nid de rigidités auxquelles la marchéisation du travail mettra fin, et comme le travail ça prend du temps, l’idéal du marché c’est la facturation à la seconde, comme dans les forfaits mobiles ! Où le travailleur est considéré comme un producteur de travail, qui l’offre sur le marché, en concurrence avec d’autres offreurs. C’est ce à quoi parvient de mieux en mieux le système économique et social : mettre les salariés en concurrence sur un prétendu marché du travail.
Mais, en réalité, les salariés de Castorama ou Monoprix ne sont pas plus en concurrence entre eux ou avec ceux de la supérette ou de l’internet, que les salariés français ne le sont avec les salariés chinois ou indiens. L’ouverture du dimanche est un outil de concurrence entre marchands, surtout en face d’internet : la concurrence, elle est entre Castorama et le rayon quincaillerie de la supérette, elle est entre la France et la Chine ou l’Inde. Le Code du travail ne protège pas les salariés du dedans contre ceux du dehors, il protège l’ensemble des salariés. De même que le protectionnisme ne protège pas les salariés du pays contre ceux du dehors, mais qu’il protège l’économie nationale.
À la fois effet et masque de la concurrence entre employeurs, la concurrence entre salariés n’est qu’un artifice pour faire pression sur les salaires. C’est ainsi que la « science économique » légitime l’action patronale anti-salariale, dont la stratégie est de mettre en concurrence des salariés- consommateurs offrant leur travail comme une simple marchandise, dans un échange marchandise contre marchandise. JB Say l’avait rêvé, le néo-libéralisme le fait.
L’éventuelle extension du travail nocturne ou dominical serait un pas de plus vers la mise en place d’un pseudo-marché du travail, sous l’apparence duquel il s’agit d’aller vers la déconnexion du travail de toute norme sociale, afin de pouvoir l’acheter en toute flexibilité, sans ces « barrières à l’entrée », comme disent les économistes, qui empêchent une concurrence loyale, « libre et non faussée ». La précarisation de l’emploi a commencé avec la suppression de l’autorisation administrative de licenciement, puis le développement des emplois à temps partiels, etc. L’enjeu en est la mise en cause des garanties du Code du travail.

2 – La révision néo-libérale des normes sociales de travail

Il se passe que sous l’apparence du marché du travail, on fait changer la norme sociale salariale. Car le marché du travail, ça n’existe pas.
En effet, le marché d’un bien met en concurrence les vendeurs, mais qui vend du travail ? Pas le salarié, puisqu’il signe le contrat avant de travailler, le travail serait une marchandise produite par sa consommation même, bizarre. C’est certes vrai de toute marchandise non stockable, comme le courant électrique, mais quand le consommateur tourne un interrupteur, il déclenche la production, il ne produit pas. Dans le contrat de travail, le salarié met sa capacité à travailler à la disposition de l’employeur, mais dans un cadre réglementaire connu au moment de la signature. Pour autant, la force de travail (FT) n’est pas offerte, au sens d’un marché de la force de travail, parce que le salarié ne produit pas sa FT en vue de la vendre sur le marché. Raisonner ainsi serait ignorer que le prolétaire n’a pas d’autre choix que de vendre sa FT, s’il veut se nourrir, et ses enfants aussi. Mais pourquoi alors vouloir nourrir ses enfants ? Pour des raisons religieuses (Dieu les a envoyés, sacrifions-nous) ou autres (voir les anthropologues), en tous cas, pas pour des raisons économiques. (5)Même si dans certaines régions pauvres de l’Italie, par exemple, les parents considéraient encore au siècle dernier les enfants comme des bouches à nourrir, mais en attendaient leur propre subsistance quand ils ne pourraient plus travailler (avec cependant des doutes : « un père nourrit six enfants, six enfants ne nourrissent pas un père », selon un dicton ancien), le fait est d’abord social, pas économique.
C’est la reproduction de la société qui fait travailler les hommes, animaux sociaux qui produisent socialement leur richesse. Réduire l’homme à l’homo œconomicus des économistes libéraux nie la société, car une fois la marchandise écoulée, tout s’arrêterait ! sauf à trouver des raisons économiques à se marier, faire des enfants, etc. Ce qu’ont tenté à la suite de Gary Becker les « nouveaux économistes » des années 70. Mais c’était un calcul individuel, et qui faisait intervenir le montant des allocations familiales ! En réalité, pas de générations futures sans société. Fait par les ultra-libéraux père du théorème éponyme selon lequel toute dépense à crédit est un report de charge sur le futur, Ricardo en était lui-même bien conscient, qui remarquait qu’un « bon père de famille » n’avait au fond aucune raison rationnelle (économique) de se préoccuper du sort de ses enfants (des générations futures).
Le marché ne peut pas assurer la reproduction sociale quand le producteur et la marchandise sont indissociables : si Renault ne vend pas ses voitures, Billancourt tousse mais Renault continue ; par contre, si le salarié qui n’a pas d’emploi continue, c’est parce que la société le soutient. Elle le fait par solidarité individuelle, civile (charité, etc.) ou sociale (la Sécu), tout simplement parce que les capitalistes en ont besoin : la socialisation du salaire est une nécessité logique du système capitaliste, pas une adjonction au salaire privé. Et que la socialisation soit politique (en France, les soins gratuits de la Révolution, en Angleterre le « système Speenhamland » de la fin du 18e siècle, etc.) ou civile (l’Église, etc.), elle vise la reproduction sociale. Chaque fois qu’on a voulu la réduire, quand la finance a pris le pas sur la production, cela a mal fini car la société perdait sa viabilité.

Dans le « monde enchanté de la marchandise », le « marché » du travail existe certes, il y a bien une concurrence entre salariés, mais comment ce marché pourrait-il fonctionner sans le « modèle social » qui l’encadre ? autrement dit, le salaire de marché dépend du salaire socialisé qui l’accompagne et qui lui-même résulte des luttes sociales et de leur validation in fine politique.
Ainsi les prix sont politiques, tous les prix, spécialement celui de la force de travail : il n’y a pas de « fondamentaux » qui détermineraient le vrai prix économique, comme le prétendent les économistes « modernes » (néo-classiques). Les économistes classiques avaient déjà  exclu le salaire des prix de marché : Smith parce qu’il y avait asymétrie entre les salariés à qui la loi « interdit de s’associer » et les patrons « que nul ne pouvait empêcher de dîner ensemble » (de même le taux d’intérêt dépendait du rapport de forces par nature inégal entre débiteur et créancier, et l’État devait l’encadrer) ; Ricardo, parce le prix dépendait certes de de la « difficulté à produire », mais le salaire était déterminé par le « principe de population » (« Au grand banquet de la nature…), que Malthus avait repris de Botero, mercantiliste italien de la fin du 16e s.). Plus tard, les néo-classiques ont introduit le marché du travail parce que son autorégulation permettait de nier la responsabilité du capitalisme dans le chômage, mais alors, et Keynes avait posé la question, que deviennent ceux que le mécanisme de l’ajustement exclut du marché ? Ils meurent ? émigrent ? se réfugient dans la famille à la campagne ? vont faire la manche ?

En général, et plus particulièrement ici, l’ajustement de marché produit donc un résultat qui dépend de l’environnement politique et social, c’est-à-dire que l’ajustement est politiquement déterminé. Les économistes orthodoxes réfutent évidemment cette idée, mais aussi quelques hétérodoxes, parce qu’elle les empêche de faire carrière en toute bonne conscience dans l’institution universitaire ou dans les médias, tels les « socialistes de la chaire » allemands qui louchaient vers Bismarck ou les Fabiens anglais avec qui débattait Keynes. L’économie réellement critique doit certes pointer les défaillances du marché et prôner l’intervention palliatrice de l’État, mais à plus long terme, elle doit dénoncer l’antagonisme de classe du système de rapports sociaux de production.
Avec l’acceptation du travail à horaires atypiques, le fétichisme de la marchandise gagne les esprits : la société de consommation l’emporte sur le rapport salarial, l’aliénation est à son comble. C’est tout le problème de la conscience de classe quand la précarisation de l’emploi produit une fracturation du salariat et une très grande hétérogénéité de la classe.
Derrière un sujet de société, comme on dit, apparaît encore une fois, mise au jour, la stratégie néo-libérale de sortie de crise par la baisse des salaires. Ici, l’attaque revient par le côté du Code du travail, répétant celle qu’avait menée E.-A. Seillière,  alors président du Medef : « 300 p de Code, c’est 300 000 chômeurs, 3 000 p. c’est 3 000 000 ». Car la flexibilité, de préférence sans sécurité, abaisse le coût du travail et restaure la profitabilité.

Les couches populaires, surtout les plus pauvres, sont prises dans les marges d’un système dont Marcuse disait que c’était d’elles que viendrait la mise en cause. On peut en douter, sinon par l’extrême droite, mais cela a peu de chances d’arriver, car le système pourra au moins un temps continuer de se reproduire par le secours de quelque « grande coalition », comme cela commence de s’étendre à nombre de pays. Certes, cela n’empêchera pas la chute finale, dans des convulsions plus ou moins violentes. Mais cela lui permettra de durer encore, jusqu’à ce que sa dynamique négative finisse par souder la conscience de classe des exploités en réunissant dans l’homme le travailleur et le consommateur.

Notes de bas de page[+]

Notes de bas de page
1 Le Monde.fr 27 septembre, « Le débat sur le travail dominical et nocturne prend une tournure politique ».
2 Le Figaro.fr du 28 septembre.
3 Le Figaro.fr, 28 sept. « Ces salariés qu’on empêche de travailler ».
4 Dans le droit fil de cette vision libérale, Le Monde a ainsi pu s’offrir par l’intermédiaire de son dessinateur emblématique Plantu, qu’on a connu mieux inspiré, un parallèle ignomineux entre Islamorama (« Je t’interdis d’aller à l’école » dans la bouche d’un intégriste islamique s’adressant à une petite fille portant foulard) et Castorama (« Je t’interdis d’aller travailler le dimanche », dans celle d’un syndicaliste CGT s’adressant à une jeune femme) !
5 Même si dans certaines régions pauvres de l’Italie, par exemple, les parents considéraient encore au siècle dernier les enfants comme des bouches à nourrir, mais en attendaient leur propre subsistance quand ils ne pourraient plus travailler (avec cependant des doutes : « un père nourrit six enfants, six enfants ne nourrissent pas un père », selon un dicton ancien), le fait est d’abord social, pas économique.
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