Un ami républicain de gauche me disait hier en rigolant que si d’aventure un institut de sondage lui téléphonait, il répondrait qu’il voterait Marine Le Pen en 2012. Joignant le geste à la parole, il ajouta : “c’est en ce moment la meilleure façon de faire un bras d’honneur à l’Elysée”. Les sondeurs partent du principe que plus d’une personne interrogée sur deux n’ose pas avouer son intention de voter Front National. Ils doublent donc mécaniquement le résultat obtenu. Peut-être seraient-ils bien avisés de faire, au contraire, une opération de division : il est fort possible que, parmi les personnes interrogées, certaines, à l’instar de mon ami, déclarent leur intention de voter pour le Front National tout en sachant pertinemment qu’elles n’en feront rien. Après tout, Ipsos et compagnie ne sondent ni les reins, ni les coeurs : mentir aux instituts de sondage est un petit plaisir qu’on peut encore s’offrir. “Schadenfreude” disent les allemands : il faut bien avouer que le spectacle des journalistes, experts, et commentateurs qui s’agitent depuis le début de la semaine et qui s’entre-commentent a quelque chose de réjouissant. C’est comme si un malin génie avait donné un coup de pied dans la fourmilière.
Nul doute que depuis l’Elysée, on a vu venir la montée de Marine Le Pen. Quelques jours avant la publication du sondage de l’Institut Harris Interactive, l’aiguille de la boussole commençait déjà à s’affoler. On a pu voir ainsi Sarkozy, conseiller par Patrick Buisson, perdre le Nord au Puy-en-Velay. A moins qu’il n’ait révélé son vrai visage : celui d’un opportuniste prêt à tout pour sortir du marasme.
Un opportuniste qui est d’abord prêt à sacrifier le principe de laïcité pour reconquérir l’électorat de la droite catholique. Le voilà qui prend des airs d’enfant de choeur et qui nous refait le coup du calamiteux discours de Latran. “La chrétienté nous a laissé un magnifique héritage de civilisation et de culture. C’est la France, la France que nous aimons, la France dont nous sommes fiers, la France qui a des racines.”
J’entends d’ici les faux ingénus faire la leçon aux rigides laïcards : “N’exagérons rien : c’est un fait que l’histoire de la France a été marquée par le christianisme. Ce n’est tout de même pas attenter à la laïcité que de rappeler les racines chrétiennes de la France !”.
Nul ne saurait nier que l’histoire de la France soit partie liée à celle du christianisme. Il faudrait du reste ajouter : pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Nul ne saurait non plus contester que la culture chrétienne a produit des oeuvres remarquables. Il est permis d’admirer l’architecture de Notre-Dame. Le problème est qu’en disant cela, Sarkozy joue sur l’équivocité du mot “France”. La “France” n’est pas seulement le nom d’un pays localisable géographiquement et déterminé par une histoire. Ce n’est pas seulement le nom d’une culture, caractérisée par ses moeurs pittoresques, sa gastronomie ou son “génie”. Lorsqu’on emploie le mot “France”, on ne peut pas faire comme si le terme ne désignait pas aussi un construction politique, à savoir la République. Surtout quand on en est le président. Surtout quand on est supposé représenter, non une communauté géographique, historique ou culturelle déterminée, mais le corps politique des citoyens.
N’en déplaise à M. Sarkozy, la République n’a pas de “racines” : elle se fonde sur des principes. On ne peut l’enfermer dans une quelconque “identité” : la République n’est pas référable à des particularismes. La force et l’originalité du modèle politique qui la sous-tend est précisément de définir le citoyen comme un pur concept, comme un pur sujet de droits. Le clocher du village, les fromages odorants, la truculence rabelaisienne, les vieilles DS, autant d‘images chatoyantes qu’il faut remettre à leur place : précisément, celle de l’imaginaire. La psychanalyse freudienne a produit le concept d’ “identifications imaginaires”. Chacun a les siennes. Et chacun peut découvrir, pour peu qu’il consente à un travail d’analyse, à quel point elles sont fragiles.
En faisant l’éloge de la France qu’il aime, la France chrétienne, Nicolas Sarkozy espère reconquérir les électeurs catholiques. Jacob et Wauquiez sont chargés quant à eux de faire la danse du ventre à la frange la plus radicalisée de cet électorat. Alors qu’il accompagnait le président dans son déplacement au Puy-en-Velay, Wauquiez s’est fendu d’un curieux commentaire. “Dominique Strauss-Kahn, c’est Washington, Dominique Strauss-Kahn, c’est sûrement une très belle maison qui donne sur le Potomac. C’est pas la Haute-Loire et c’est pas ces racines-là [sic]”. C’est vrai, ça : Strauss-Kahn, ça fait pas vraiment France profonde, ce nom-là. Encore un qui n’a pas dû souvent sentir la bonne terre de France lui coller aux semelles. Encore un déraciné, un type urbanisé qui se sent mieux dans les villes cosmopolites que dans les terroirs. J’entends déjà les vierges offensées : “c’est tout de même un peu fort, alors, comme ça, on n’a pas de droit de dire que Strauss-Kahn n’a jamais vécu en Haute-Loire et qu’il ne fait pas vraiment France rurale ?”. Le déraciné contre le Français solidement enraciné dans le terroir, le citadin contre le paysan : major à l’agrégation d’Histoire, Wauquiez ne peut pas ignorer les accents très maurrassiens d’une telle rhétorique.
Lors de sa campagne de 2007, Nicolas Sarkozy avait joué la carte du discours républicain. Discours de pur façade puisque toute sa politique a consisté, ensuite, à démanteler pièce par pièce, le modèle républicain. Son action aura eu au moins le mérite de la cohérence : d’une main il a détruit la République laïque, de l’autre, la République sociale.
A l’approche de 2012, il joue cette fois-ci la carte de la “droite décomplexée”. Désormais, on sait au moins ce que signifie l’expression : la droite décomplexée est tout bonnement une droite qui ne craint plus de renouer avec la rhétorique maurrassienne en faisant l’éloge du “pays réel” contre le “pays légal”. Une droite qui considère qu’Eric Zemmour est l’exemple même du courage politique.