Un événement important vient de se produire au Grand Orient de France : les loges qui le souhaitent pourront désormais initier des femmes. Cette heureuse décision qui marque le refus de segmenter l’humanité ne manquera pas de renforcer la première obédience maçonnique de France. Cela suffira-t-il à lui redonner l’influence qu’elle a perdue depuis les années 70 ?
Il en est du Grand Orient de France comme de toute autre organisation politique, syndicale ou associative : cette obédience subit aussi les effets du rouleau compresseur néolibéral. Cette idéologie est tellement hégémonique qu’elle parvient à imposer l’idée qu’il n’y a pas d’alternative politique possible voire même que la seule politique qui vaille est la “politique des choses” au sens où l’entend Jean-Claude Milner, autrement dit la négation même de la politique. Rien d’étonnant, dans un tel contexte, que le Grand Orient de France se soit dépolitisé et ait donc perdu de son influence.
A ses débuts, la Franc-Maçonnerie française était aux prises avec l’histoire. Née au siècle des Lumières, porteuse d’un projet politique inédit et cohérent, elle fut fortement impliquée dans la Révolution française. Un siècle plus tard, durant la deuxième partie du règne de Napoléon III, elle devint un lieu de rassemblement pour les républicains anti-bonapartistes. Elle contribua très largement à l’instauration de la Troisième République et à l’édification de ses grandes lois sociales, scolaires et laïques. Au temps de l’Occupation allemande, nombre de maçons s’engagèrent dans la Résistance. Mais depuis l’adoption de la loi Veil en 1975, force est de constater que le Grand Orient de France n’a plus d’influence, que ce soit par ses travaux ou par l’action d’un nombre significatif de ses membres.
Dénué de tout projet politique, de plus en plus perméable à l’opinion dominante, le Grand Orient de France, à l’instar de l’intelligentsia, a renoncé à défendre le modèle social français. L’Obédience s’est ainsi progressivement coupée du mouvement social (1)Il suffit, pour s’en convaincre, de constater l’effondrement du nombre de ses membres ayant des responsabilités politiques, syndicales ou associatives.. Elle s’est transformée en une organisation conservatrice dont on ne parle plus que dans la rubrique « Faits divers » et qui constitue un excellent marronnier journalistique. Son accroissement numérique (ses effectifs sont passés de 30.000 membres en 1990 à 50.000 membres aujourd’hui) est moins un signe de “bonne santé” que le symptôme d’un devenir “club à l’anglaise” et d’un recrutement de plus en plus ouvert à des personnes de moins en moins politisées.
Malgré cette période de perte d’influence et de combativité, le Grand Orient de France reste encore attractif. Même si les lois de 1884 et de 1901 ont permis à d’autres lieux d’association d’exister, même si beaucoup d’organisations politiques et syndicales font bien mieux que le Grand Orient de France en matière de réflexion et d’action, il n’en reste pas moins que la démocratie interne fonctionne, tantôt pour le meilleur et tantôt pour le pire. Peu d’organisations peuvent s’en prévaloir : combien de personnes quittent les organisations où elles militaient après avoir découvert que la démocratie interne était juste un affichage ? Fort de son rituel et de deux siècles de fonctionnement, le Grand Orient de France est encore un lieu où une démarche philosophique, progressive, démocratique et humaniste est possible.
Notes de bas de page
↑1 | Il suffit, pour s’en convaincre, de constater l’effondrement du nombre de ses membres ayant des responsabilités politiques, syndicales ou associatives. |
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