Tribune parue dans l’Humanité du 9 janvier.
Tantôt au grand jour, tantôt à pas feutrés, l’entreprise gouvernementale de privatisation de l’enseignement se poursuit. Au grand jour : le projet de loi de finances prévoit la suppression de 16000 postes dans le secteur public à la rentrée 2010 ; l’accord signé le 18 décembre 2008 entre la République Française et le Saint Siège sur l’enseignement supérieur donne à un État étranger, qui est en même temps une autorité religieuse, le droit de délivrer des diplômes sur le territoire de la République française dans toutes les disciplines, ce qui est ni plus ni moins une façon de transférer aux « universités » catholiques privées une prérogative dont les Universités publiques avaient jusque-là le monopole, celle de la collation des grades ; l’existence des écoles maternelles, véritable « bijou pédagogique » dont la France pouvait se prévaloir, est attaquée à travers la création de simples structures d’accueil privées.
Mais le gouvernement avance aussi à pas plus feutrés : ainsi, en allant consulter le site de l’éducation nationale, on a la surprise d’apprendre que le nombre de postes ouverts aux concours externes de l’enseignement privé (CAFEP-CAPES) va être, cette année, multiplié par deux.
La stratégie est cousue de fil blanc : tandis que le gouvernement organise la pénurie dans le public, il œuvre au renforcement du secteur privé de l’enseignement. Le nombre de postes au CAPES et à l’agrégation externes reste largement inférieur à celui des départs à la retraite. Le nombre de postes proposés par le privé passe, quant à lui, de 569 (pour l’année 2009) à 1260 (pour l’année 2010). Le déséquilibre est particulièrement criant dans certaines disciplines : en philosophie, en lettres modernes ou encore en anglais. Des professeurs plus nombreux dans les établissements privés sous contrat, des classes moins chargées, des élèves mieux encadrés, des options plus diversifiées, voilà qui a de quoi rendre le secteur privé plus attractif. Et l’augmentation du nombre d’élèves scolarisés dans ces établissements pourra justifier, les années à venir, de nouvelles ouvertures de postes. Le gouvernement enclenche ainsi un « cercle vertueux » très profitable à l’enseignement privé.
Les partisans du néolibéralisme peuvent se réjouir, car le gain est double. D’un côté, le secteur privé de l’enseignement se développe, comme le préconisait l’Accord Général sur le Commerce des Services institué en 1994. De l’autre, on « dégraisse le mammouth ». On diminue le nombre de fonctionnaires et on pousse insidieusement les candidats à se tourner vers les concours de l’enseignement privé qui offrent pourtant un statut beaucoup plus précaire puisque ces enseignants n’ont pas la garantie de leur emploi. L’augmentation du nombre de postes proposés fait en effet baisser mécaniquement la barre d’admissibilité.
Les néolibéraux ont beau jeu de défendre la « concurrence libre et non faussée » entre l’enseignement public et l’enseignement privé. Depuis l’instauration de la loi Debré de 1959, ce principe est un mythe. Rappelons que c’est l’Etat qui rémunère les enseignants des établissements privés sous contrat et qui verse une dotation pour les personnels administratifs. Les collectivités locales sont contraintes de participer aux frais de fonctionnement de ces établissements en fonction d’un forfait calculé sur la base du coût moyen d’un élève dans le public. Ces postes ouverts dans le secteur privé sont donc financés par des fonds publics. Il s’agit ni plus ni moins d’un nouveau cadeau consenti par le gouvernement au secteur privé pour une grande part confessionnel. Et d’un pas de plus vers la privatisation de l’enseignement.
La collusion entre l’État et l’enseignement privé est de plus en plus manifeste. Tout se passe comme si la différence entre le secteur privé et le secteur public était vouée à disparaître. Au lieu de garantir un enseignement public de qualité, le gouvernement n’a de cesse d’affaiblir l’institution scolaire et entérine la destruction de l’école républicaine.