« Dans l’académie de Créteil, six classes de lycées professionnels verront leur assiduité récompensée par le financement de projets de groupe pouvant aller jusqu’à 10.000 euros par an » (source : Le Figaro 2 octobre 2009). Il est même question d’étendre cette expérience.
Bien sûr, ce n’est pas de l’argent de poche individuel. Mais sous l’alibi du « collectif » et du « projet », on accrédite l’idée que l’effort pour s’instruire et s’autoconstituer comme sujet libre est identique à l’effort du travail, que l’instruction n’est rien d’autre qu’une « formation », une sorte de stage dont le produit fini et finalisable à merci serait… le travailleur.
C’est oublier que si les élèves travaillent au sens libéral du terme (comme Socrate travaillait), s’ils travaillent sur eux-mêmes, ils ne travaillent pas exactement au sens du circuit économique. Leur travail est une praxis et non une poïèsis (1)praxis : pris au sens large, travail sur soi-même ; poïèsis : production d’un objet. Voir l’usage philosophique courant sur philagora. – y compris lorsqu’il s’agit d’enseignement professionnel (on relira à ce sujet le Quatrième mémoire sur l’instruction publique de Condorcet, consacré à « l’enseignement des professions »). Et même si l’éducation est pour un pays une forme d’investissement, c’est aussi et avant tout une « combinaison pour assurer la liberté », comme le précisait encore Condorcet.
Mais la confusion n’a-t-elle pas déjà commencé avec la disparition du terme instituteur ?
Avec ce mélange des genres se pose bien le problème qui alerte l’opinion. Osons les gros mots : un problème moral. N’entendait-on pas hier (5 oct.) sur une chaîne de radio une auditrice expliquer au téléphone que
oui, pourquoi pas, ça rétablirait la justice car les riches récompensent leurs enfants avec de l’argent et des beaux cadeaux quand ils ont des bonnes notes… ?
Ben voyons, il n’y a que les ringards comme Spinoza pour expliquer que « la vertu est à elle-même sa propre récompense » ! Comme s’il fallait s’aligner sur ce qu’on croit que font les « riches »… dont cette auditrice avoue au fond qu’elle les méprise tout en les enviant.
Face à ces inepties dangereuses parce qu’elles remplacent l’éducation par le dressage et l’instruction par le conditionnement, parce qu’elles traitent les êtres humains comme des produits à finaliser, on est soulagé d’entendre un célèbre humoriste matinal déclarer, imitant la bougonnerie savoureuse de Jean-Pierre Bacri :
Au fait, on pourrait peut-être aussi payer les profs ?
Nicolas Cantelou et ses collaborateurs ont les idées claires : en effet les profs, eux, travaillent au sens ordinaire du terme, et ils doivent être payés pour leurs efforts au travail. Mais c’est à eux qu’on tient le discours moral : voyons, vous n’avez pas besoin d’un bon salaire, vous faites le plus beau métier du monde et vous avez tant de satisfactions ! D’ailleurs, c’est bien connu : les professeurs sont des ringards comme Spinoza.
Nicolas Cantelou y est revenu ce matin, encore plus férocement :
On devrait aussi donner une prime à celui qui n’a pas insulté son prof d’histoire ou qui n’a pas violé sa prof d’anglais !
Notes de bas de page
↑1 | praxis : pris au sens large, travail sur soi-même ; poïèsis : production d’un objet. Voir l’usage philosophique courant sur philagora. |
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