- Chronique d'Evariste
- ReSPUBLICA
Oser rompre avec les impasses intellectuelles et politiques
par Évariste
Pour réagir aux articles,
écrire à evariste@gaucherepublicaine.org
Voir l’autre gauche progresser en Europe et régresser en France doit nous pousser à organiser le plus de lieux de débat possibles pour sortir renforcés de cette épreuve. Nécessité entre autre de rompre avec les séductions de ceux qui ne globalisent pas l’ensemble des éléments de la lutte politique.
Renouer avec la critique de l’économie politique
Dans les années 70, l’introduction surplombante et fascinante du calcul mathématique dans l’enseignement de l’économie fut le cheval de Troie du néo-libéralisme, lequel put, au nom de la « science économique », tenir un discours visant à exclure toute dimension politique dans le débat économique, tant pour les affaires publiques que privées. Ainsi, il suffisait de savoir « jouer » des inversions de matrice et un étudiant formé aux mathématiques pouvait entrer directement en second cycle de sciences économiques et obtenir dans la foulée un diplôme de 3e cycle d’économie. Aujourd’hui, ces mêmes étudiants, devenus universitaires reconnus défilent sur les plateaux de télévision ou dans les émissions de radio posés en « experts en économie », sans préciser qu’ils sont surtout conseillers financiers ou membres d’un CA d’une entreprise du CAC 40, comme le montre le film « Les nouveaux chiens de garde », excellent film d’éducation populaire – pour nous faire des prêches sur la seule politique possible, celle de leurs commanditaires.
L’économie politique est une idéologie, un système de pensée lié à une vision de la société. Elle est née avec la montée de la bourgeoisie afin de légitimer l’économie capitaliste, elle a ensuite eu pour fonction d’en gérer les contradictions. D’Adam Smith à Keynes, l’économie politique s’est diversifiée en autant de doctrines que d’intérêts de classes ou de fractions de classes. On a ainsi eu, au 19e s., l’économie politique vulgaire des auteurs dits néo-classiques, les pères de la science économique, dont la fonction fut de légitimer le libéralisme d’alors, mais aussi l’économie politique de la monnaie, elle-même divisée en courants liés aux types de banque qu’ils représentaient, etc. Avec la crise ouverte dans ces années 70, la science économique s’est instituée en économie politique de l’oligarchie financière, lui permettant de gérer la mondialisation des échanges et la financiarisation des économies.
On aurait pu espérer que les économistes hétérodoxes, alter, « atterrés » ou « affligés », qui se déclarent hostile à la doxa libérale renouent avec la critique l’économie politique. Que nenni ! Apparaissent ici ou là des économistes gourous avec leurs adeptes qui se rassemblent autour d’une prééminence surplombante censée régler, par une seule mesure, l’entièreté des questions sociales, économiques, culturelles et politiques. Et alors, on entend ici et là, la question suivante : « Es-tu pour l’expert X ou pour l’expert Y ? ». Dans sa façon de s’opposer à la « science » économique, l’hétérodoxie reste une économie politique dans la mesure où elle ne met pas en cause le rapports sociaux de production, mais seulement leur gestion. Elle s’imagine que l’on peut réorienter la marche de l’économie sans se référer aux lois de sa dynamique. L’hétérodoxie est une économie politique petite-bourgeoise, qui met au jour de vraies problèmes, mais qui ne se donne pas les moyens de les résoudre.
Les « experts néolibéraux en économie » développent une économique politique déterministe en copiant le déterminisme de la physique de la chute des corps de Newton. Et pourtant, même en physique, depuis l’équation de Schrödinger et le principe d’incertitude d’Heisenberg, les champs où le déterminisme reste roi diminuent fortement. Les gourous des prééminences surplombantes de l’autre gauche française se réfèrent globalement à l’approche keynésienne, qui est celle de la physique thermodynamique, dans laquelle les lois du système l’emportent sur celles de l’individu. Il est ainsi possible de critiquer le libéralisme.
Mais cette approche ne va pas au bout, car elle reste positiviste : le système n’a pas de contradiction interne insurmontable, ses dysfonctionnements résultent de défauts de régulation. Depuis Marx, la critique de l’économie politique s’appuie au contraire sur une démarche systémique dialectique, les lois qu’elle dégage sont des lois tendancielles. Le propre de ces lois est que les acteurs peuvent agir pour hâter, freiner ou contrer leur expression. Voilà pourquoi toute théorie économique qui s’appuie sur une inéluctabilité dans une situation donnée est erronée. Il y a certes un sens de l’histoire, mais l’histroire n’est pas écrite. Il reste toujours un impact fort, quant au niveau de mobilisation et de détermination des travailleurs, quant au degré atteint par la bataille pour l’hégémonie culturelle, quant à la capacité des dirigeants politiques de comprendre le peuple et principalement sa majorité, à savoir les ouvriers, les employés, les chômeurs, les jeunes de moins de 35 ans, les couples qui gagnent moins de 20.000 euros par an, etc., tous ceux qui se sont tous abstenus à plus de 70 % le 25 mai 2014.
Que faire aujourd’hui ?
Comme dans les années 30, une crise peut avoir plusieurs sorties. Aujourd’hui, la ligne de plus grande pente est l’intensification des politiques libérales pour contrer à la fois l’éclatement des bulles financières et la loi de baisse tendancielle du taux de profit dans l’économie réelle depuis les années 70. Cette intensification est actuellement gérée par une alternance UMP-PS, mais peut dériver sur une gestion de la crise par une alliance PS avec une partie de la droite ou par une alliance autoritaire fascisante avec une partie de l’UMP et le FN. Et sur ce point, c’est le patronat qui est à la manœuvre.
L’autre branche de l’alternative est une victoire de l’autre gauche. Mais pour cela, il faut que la gauche de la gauche se transforme et s’intègre dans une gauche de gauche conquérante, ce qui aujourd’hui n’est pas une mince affaire. D’autant que la grande différence avec les années 30 est que les conditions de la réussite de la radicalité altercapitaliste et keynésienne du CNR n’existent plus. Nous ne sommes plus dans une période de reconstruction et de reconstitution du capital avec des taux de profits élevés à partir desquels les luttes sociales peuvent obliger à un partage des gains de productivité permettant l’élévation du niveau de vie des travailleurs. Aujourd’hui, la sortie de crise demande la production d’un modèle politique alternatif au capitalisme lui-même.
Aujourd’hui, le niveau des armements interdit une guerre de type 39-45 et donc il n’y a plus de sortie de crise dans le capitalisme. Voilà pourquoi la majorité des économistes hétérodoxes largement néo-keynésiens sont hors jeu, qu’ils soient atterrés ou atterrants ou les deux à la fois. Ce n’est pas qu’ils ne sont pas sympathiques, c’est qu’ils sont inopérants. Ils se trompent de période. Voilà pourquoi la définanciarisation de l’économie est aujourd’hui impossible dans le capitalisme depuis que les oligarchies mondiales qui dirigent la bourgeoisie ont compris que la financiarisation de l’économie leur permettait d’une part de contrer la loi de baisse tendancielle du taux de profit dans l’économie réelle et d’autre part de « contrôler les Etats par la dette », selon l’excellent mot de Karl Marx. La ligne de plus grande pente est donc l’intensification des guerres sociales nationales avec les conséquences possibles énoncées plus haut.
L’autre gauche n’a donc pas le choix. Soit elle entreprend une mutation pour entrer dans un processus long visant à construire une gauche de gauche, soit elle alimentera différentes méthodes de type Coué, puis la fatalité, la désillusion, la récrimination envers les autres au lieu de se changer soi-même. Et surtout, elle doit en finir avec le pensée mortifère du type « Le peuple n’a pas compris, il faut mieux lui expliquer par une meilleure communication ». Car les ouvriers, les employés, les chômeurs, les jeunes de moins de 35 ans, les couples qui gagnent mois de 20.000 euros par an, etc., tous ceux qui se sont abstenus à 70 % ont très bien compris que même l’autre gauche française les avait abandonnés.
Pour cela, une boussole jaurésienne, reprise en substance par Daniel Cordier à la fin du film « Les Jours heureux » de Gilles Perret, est nécessaire : il faut, comme noté dans l’édito précédent de ReSPUBLICA, « examiner l’intérêt particulier du prolétariat ».
- Combat social
- Education populaire
- Lutter contre le néo-libéralisme
- ReSPUBLICA
Les séquences se suivent : après les élections, les luttes sociales et l'éducation populaire !
par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire. Auteur avec M. Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette » et avec C. Jousse et Ch.Prudhomme de « Contre les prédateurs de la santé ».
http://wwww.reseaueducationpopulaire.info
Pas de congés payés pour la culture : les luttes se suivent et se complètent. Pour la séquence électorale de 2014, ReSPUBLICA a produit 4 chroniques d’Evariste depuis le 26 mai 20141. Plus d’élections avant la fin de l’année 2015. Place donc aux luttes sociales et aux initiatives d’éducation populaire.
Commençons par les deux luttes sociales au sujet desquelles les nouveaux chiens de garde de l’ordolibéralisme ont produit une désinformation exemplaire.
La grève des cheminots
A l’appel de la CGT et de Sud-Rail, un mouvement de grève d’intérêt général a été lancé. Pas contre les usagers mais contre les politiques ordolibérales et pour le bien commun.
Passons rapidement sur les collabos de la CFDT et de l’UNSA, ils ne sont que des adeptes de la servitude volontaire si bien décrite par La Boétie en son temps.
Les professionnels de la désinformation néolibérale (TF1, France Télévisions, BFM, etc.) ont présenté cette grève comme paradoxale, car, disaient-ils, la « réforme » allait dans le sens de la CGT puisque la SNCF était rassemblée grâce à une holding qui n’existait pas auparavant. Faut-il vraiment que les organisations politiques et syndicales aient autant abandonné l’éducation populaire pour qu’une partie importante de l’opinion soit sujette au doute ? Depuis quand une holding empêche-t-elle d’aller vers la privatisation des profits dans une filiale (SNCF Mobilités) et la socialisation des pertes dans l’autre (SNCF Réseaux, qui regroupe RFF et les équipes d’entretien de la SNCF, soit 1/3 des personnels, ainsi que la plus grande partie des dettes)? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. De deux sociétés (RFF et SNCF), nous passons à trois (SNCF Réseaux, SNCF Mobilités et SNCF) : le dépeçage continue. Et rien n’y oblige, puisque l’Allemagne a conservé l’unité de son service de chemin de fer. Hé oui, Hollande pire que Merkel, voilà la réalité.
De plus, la holding servira notamment à gérer la concurrence interne des 923 filiales de la SNCF, dont la concurrence entre le frêt SNCF et le frêt privé filiale de la SNCF, et à gérer la concurrence entre la route (Geodis, filiale de la SNCF) et le train (SNCF Mobilités).
Quant au statut des cheminots dont les médias néolibéraux nous sermonnent qu’il n’est pas touché, force est de constater qu’il est noté qu’une convention collective unique doit rassembler l’ensemble du personnel. Mais 98 % des personnels sont sur statut SNCF et 2 % sur statut de droit commun. Le risque d’une convention collective qui diminue les droits des cheminots est donc patent.
Les médias néolibéraux ont claironné que les grévistes prenaient en otage les usagers et les élèves passant le bac. Mais qui a décidé, sinon le gouvernement, de fixer au mardi 18 juin la date du vote de la loi, en plein baccalauréat ? Pourquoi les médias néolibéraux n’ont pas dit qu’il y a eu plusieurs grèves d’une journée depuis plus d’un an et que le 22 mai dernier 1/5 des personnels non cadres ont manifesté à Paris sur le même sujet ? Le refus de la direction et du gouvernement d’en tenir compte poussait alors les grévistes à entamer une grève reconductible.
Et tout cela sans compter le management de plus en plus agressif de la direction, la dégradation des conditions de travail, les fermetures de boutiques SNCF, la baisse de la sécurité (les 7 morts de Brétigny), et le fait qu’entre 2005 et 2012, la part du ferroviaire a reculé d’un point, passant de 10,6 % à 9,6 % des marchandises transportées. Pendant ce temps, la part du transport routier a augmenté de près de deux points, passant de 81,9 % à 83,6 %. Davantage de concurrence, c’est donc davantage de camions et de pollution, etc.
Venons-en aux amendements votés en séance à l’Assemblée nationale. Plusieurs amendements ont été votés sous la pression des grévistes : les 3 EPIC seront indissociables et solidaires, les négociations se feront au niveau du groupe, un comité d’entreprise existera au niveau du groupe et le groupe SNCF sera l’employeur des agents des 3 EPIC. Mais ces amendements ne règlent rien de fondamental : rien sur la dette (44 milliards), rien sur le financement, aucune assurance que le groupe SNCF et le gouvernement ne continue pas de jouer la route contre le train, aucune assurance que la future convention collective globale ne baisse pas les acquis des cheminots, rien de nouveau contre la « concurrence libre et non faussée » sur les trains à la fin de la décennie, etc.
Le sujet rebondira donc plus tard car le mouvement réformateur ordolibéral, qui procède avec un projet de démantèlement complet du service public SNCF, ne pratique ses « réformes » que par étapes successives, sans transparence sur le prochain acte de son action et sur le but final poursuivi.
Par contre, il est à noter que si les syndicats qui appelaient à la grève s’en remettaient chaque jour aux assemblées générales, force est de constater que la CGT ne parlait pas d’une seule voix, puisque le secrétaire général confédéral semblait plus conciliant suite aux amendements votés que le secrétaire général de la Fédération des cheminots.
Par ailleurs, il est dommageable qu’aucune campagne d’éducation populaire massive n’ait été lancée, car il est clair qu’à chaque mouvement de grève qui peut paralyser le pays, non seulement il faut travailler à la double besogne jaurésienne (plan d’action immédiat et projet à moyen et long terme) mais mener en même temps la bataille de l’opinion qui ne peut se contenter de tracts trop courts qui n’expliquent pas l’essentiel. Voilà qui mérite un débat d’avenir. Voilà ce que pourrait faire un vrai Front du peuple autour des luttes sociales.
La grève des intermittents du spectacle
Là, nous touchons de plein fouet à la marchandisation de la culture organisée par le mouvement réformateur néolibéral avec son lot d’inégalités considérables.
Néanmoins, pour permettre la survie de ce secteur, les pouvoirs publics ont consenti le statut des intermittents du spectacle, sans lequel il serait totalement sinistré faute de subventions publiques suffisantes et de projet culturel financé.
Le mouvement réformateur néolibéral (Medef, gouvernement, syndicats complaisants en pleine « servitude volontaire ») décide cependant de restreindre le statut, en envoyant de nombreux artistes dans une précarité encore plus forte, voire dans la pauvreté. La CGT Spectacles décide donc le lancement d’un mouvement de grève.
Comme pour les cheminots, le gouvernement propose un amendement pour essayer de sauver les festivals de la période estivale : valider l’accord interne du mouvement réformateur néolibéral mais en finançant, uniquement à court terme, le différé produit par la régression patronale dudit accord.
Là encore, cette nouvelle « Valls » du mouvement réformateur néolibéral n’est là que pour gagner du temps à court terme et n’annonce en rien un projet culturel indispensable à l’ensemble du peuple.
Perspectives et propositions à court terme
Cette prochaine année sans élections sera le théâtre de tous les renoncements gouvernementaux contre le social consécutifs aux 50 milliards du Pacte dit de responsabilité. Et comme ces 50 milliards ne seront pas suffisants pour diminuer la dette publique, il y aura donc un nouveau Pacte qui prendra un nouveau nom qui continuera à aggraver les politiques d’austérité. Ce processus sans fin ne pourra s’arrêter que par la résistance du salariat, à commencer par la classe populaire ouvrière et employée et par les couches moyennes intermédiaires. Voilà pourquoi nous devons combiner les luttes sociales syndicales avec des campagnes massives d’éducation populaire qui ne se résument pas à des distributions de tracts, des meetings de déjà-convaincus ou une manif de temps en temps.
La diversification des formes de l’éducation populaire est à la disposition des résistants pour lier la bataille syndicale qui ne concerne que les salariés et leurs syndicats et les initiatives d’éducation populaire qu’un véritable Front du peuple peut animer avec le mouvement syndical revendicatif. Toute la batterie d’outils est alors à disposition : conférences explicatives traditionnelles de proximité, conférences interactives, porte-à-porte de militants formés, ciné-débats, théâtre forum, conférences populaire sans conférenciers, ateliers de lecture de grands auteurs, etc.
Soyons les fourmis et les abeilles de l’éducation populaire au coté du mouvement syndical revendicatif. Vous pouvez bien sûr nous contacter pour tout renseignement et soutien dans cette action.
- http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/25-mai-2014-desastre-des-gauches-en-france-que-faire-%E2%80%8B/81862
http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/progression-de-lautre-gauche-en-europe-et-regression-du-front-de-gauche-en-france-pourquoi/6182641
http://www.gaucherepublicaine.org/respublica/aux-7-peches-capitaux-de-lautre-gauche-francaise-opposons-7-pistes-demancipation/736042
↩]
- Lutter contre le néo-libéralisme
- Protection sociale
- ReSPUBLICA
Le médicament, pointe avancée du néolibéralisme dans la santé
par Bernard Teper
Co-animateur du Réseau Education Populaire. Auteur avec M. Zerbato de « Néolibéralisme et crise de la dette » et avec C. Jousse et Ch.Prudhomme de « Contre les prédateurs de la santé ».
http://wwww.reseaueducationpopulaire.info
Tout le monde sait ce que l’amélioration de la santé des assurés sociaux doit en partie aux avancées médicamenteuses. Mais ce que le public sait moins, c’est qu’il utilise de plus en plus des médicaments inutiles voire dangereux pour sa santé. Les maladies dues aux médicaments se développent. Voilà résumée la nature contradictoire du médicament dans le néolibéralisme.
Ainsi, la revue indépendante Prescrire estime qu’en 2013, sur 91 nouveaux médicaments, seuls 18 d’entre eux « constituent une avancée thérapeutique souvent minime » et que 15 autres « autorisés de manière hâtive » sont jugés « plus nocifs que bénéfiques ». Les scandales sanitaires, tels le Médiator et bien d’autres affaires du même type moins connues ont mis en évidence qu’en camouflant des effets secondaires connus comme dangereux, de nombreuses firmes étaient moins attachées à la santé des patients qu’à faire du fric. On pourrait parler aussi des médicaments falsifiés distribués la plupart du temps dans les pays du Sud et du taux d’environ 50 % des faux médicaments délivrés par ce nouveau moyen de vente de médicament qu’est devenu internet. Et pourquoi ne parlerions-nous pas du fait que la France est le pays européen qui dépense le plus en médicaments (19,3% du remboursement des soins par l’Assurance-maladie) sans service médical rendu plus important que les autres pays européens de même niveau de santé que la France ? On pourrait aussi fustiger l’opacité qui règne dans la fixation des prix des médicaments.
Tout cela ne peut s’expliquer que par le niveau record atteint en France par les conflits d’intérêts. C’est l’industrie française du médicament qui est la plus influente dans la politique nationale du médicament. Au détriment de la santé publique. Mais pas des dividendes versés aux actionnaires de la dite industrie pharmaceutique. Et tout cela, malgré les autorités publiques de contrôle, parce qu’elles sont largement infiltrées par l’industrie pharmaceutique.
Ainsi le développement par l’industrie pharmaceutique de produits sans intérêt pour la santé prend de l’essor : produit de beauté marchandisé avec l’entreprise Coca-Cola, produit visant à blanchir la peau des parties intimes (très en vogue en Asie), invention de maladies n’existant pas (voir le magazine Viva des Mutuelles de France de février 2014 : le pré-diabète, le pré-cholestérol, la pré-ostéoporose, etc.), recherche guidée par la solvabilité des futurs « clients » (on recherche des médicaments surtout pour des maladies touchant principalement les couches sociales qui peuvent payer un reste à charge élevé). Nous savons que dans la dernière période la sécurité alimentaire est trop faible et nous savons que la recherche médicamenteuse est mal orientée.
De plus, nous avons appris que l’expérience des nationalisations de 1982 n’a pas changé fondamentalement les choses, car cela a développé un temps un capitalisme d’État fonctionnant après le virage néolibéral de 1983 de la même façon que les firmes privées, à savoir produire du dividende, ici pour l’Etat dirigé par des oligarques, là pour l’oligarchie privée dirigée par cette même oligarchie publique et privée ! Voilà d’ailleurs pourquoi nous pouvons douter des projets d’installation par la gauche de la gauche d’un pôle public de la santé, comme celui par ailleurs d’un pôle public financier, tant que l’on n’assure pas l’introduction d’un processus démocratique au sein des structures publiques selon les 4 conditions issues de la pensée de Condorcet, à savoir la présentation possible aux citoyens de tous les projets, le libre débat raisonné des citoyens sur tous les projets, l’application du suffrage universel pour le choix des politiques et des dirigeants et la possibilité d’action des citoyens en cours de mandat si les élus manquent à leur tâche.
Mais comprenons bien que les firmes pharmaceutiques n’ont pas pour objectif la santé publique. Si elles ne l’ont pas, c’est qu’elles sont des entreprises capitalistes, dont l’objectif est le profit ; des entreprises privées pour un objectif public, voilà une situation intenable dans un système de rapports de production capitalistes. Surtout quand on veut faire financer par le secteur privé la recherche ou l’enseignement parce que le secteur public n’en a plus les moyens. Il faudrait en effet les réguler au mieux, mais c’est comme réguler la finance ou supprimer les paradis fiscaux, faut pas rêver : tant que l’on s’en tiendra à des solutions altercapitalistes, ce système perdurera et il y aura toujours des scandales, quel que soit le pays considéré.
Voilà pourquoi aujourd’hui, toute solution qui reste au sein du capitalisme arrivé, à l’échelle de l’histoire, à la fin d’un cycle historique né au 16e siècle, ne mettra à l’épreuve que la capacité d’adaptation de l’oligarchie capitaliste qui dirige aujourd’hui les patronats, les États et les associations directives multilatérales.
Augmenter la capacité citoyenne de contrôler la politique de la santé et de la protection sociale en général, et du médicament en particulier, développer une formation obligatoire tout au long de la vie des professions médicales et paramédicales uniquement par l’Université et non par les labos, supprimer les conflits d’intérêts qui font que les experts qui nous conseillent sont financés par ceux qu’ils sont censés contrôler, subordonner toutes les nouvelles méthodes médicales (télémédecine notamment) au contrôle citoyen, sanctuariser le financement du secteur de la santé uniquement par du salaire socialisé, organiser la gestion de ce budget supérieur au budget de l’Etat qu’est celui de la Sécurité sociale par des élus des assurés sociaux (comme prévu initialement dans les ordonnances créant la Sécurité sociale voulues par le Programme du Conseil national de la Résistance), voilà des exigences qui devraient entrer dans le corpus d’une gauche de gauche alors qu’elle est absente de celle de la gauche de la gauche.
- A lire, à voir ou à écouter
- Economie
- ReSPUBLICA
« La grande bifurcation » (G. Duménil et D. Lévy) : des cadres barbares ou socialistes ?
par Michel Zerbato
Universitaire.
Auteur de "Néolibéralisme et crise de la dette, aux éditions "Osez la République Sociale"
Quand on demandait à Engels de dire quelles seraient les grandes lignes d’organisation de la société post-bourgeoise, il répondait ne pas être là « pour faire bouillir les marmites de l’avenir ». Car il savait que, si selon l’analyse critique des lois du capital, le sens de l’histoire condamnait le capitalisme à son propre dépassement, celui-ci n’était pas pour autant écrit dans son détail, tant il dépendait aussi des tours pris par la lutte des classes.
C’est ce même parti que prennent les auteurs de ce livre1, Gérard Duménil et Dominique Lévy. Très largement connus pour leurs travaux théoriques, notamment en macroéconomie, ils se proposent de se situer dans la ligne marxiste afin de « mener une enquête sur la dynamique du capitalisme ». En réfutation de ceux qui tirent argument de l’échec du système soviétique pour proclamer une fin de l’histoire qui pérenniserait définitivement le capitalisme néolibéral, les auteurs veulent rénover l’argumentation en faveur de sa fin en analysant les tendances et les transformations de la production capitaliste qui visent à le perpétuer, mais qui ne suppriment pas les contradictions internes qui le travaillent.
À cette fin, ils reprennent le fil d’une réflexion qui donna déjà lieu à la publication d’un petit livre2 dans lequel ils émettaient l’« hypothèse cadriste », que ce livre explore plus avant. Cette hypothèse est que le développement « naturel » du capitalisme l’a socialisé et a autonomisé les fonctions de gestion qui revenaient de droit aux capitalistes en tant que « hommes aux écus », pour les confier à des cadres. Ces cadres de gestion sont au départ des salariés agissant pour le compte des propriétaires, mais ils vont progressivement se constituer en classe à part entière, dont la stratégie politique pèse sur le devenir du capitalisme, à travers le jeu des contradictions internes de lois tendancielles de la dynamique économique confrontées aux luttes sociales et politiques. La « grande bifurcation » est alors, entre « à droite » le dépassement du capitalisme néolibéral dans une société de classes « néomanagériale » sous le leadership des cadres alliés aux capitalistes, et « à gauche », la sortie vers une société effaçant graduellement les classes sous la conduite des « encadrés » alliés aux cadres, rappelant le compromis d’après 45, mais avec cette fois les classes populaires en position dominante.
Pour évaluer la pertinence de cette hypothèse, GD et DL revisitent l’histoire du capitalisme et des configurations de pouvoir qui se sont succédé. Selon eux, le capitalisme est foncièrement sous la domination de la finance, le 19e siècle en fut l’exemple qui opposa les capitalistes, possesseurs de l’argent, aux travailleurs producteurs immédiats. Mais la concentration du capital et le progrès technique ont fait émerger des cadres de gestion, des « managers », ce qui a changé la structure de classe, non plus bipolaire, mais devenue tripolaire : capitalistes, cadres et « encadrés » (les employés d’exécution et les ouvriers), ce qui a donc changé aussi les effets de la lutte des classes sur la dynamique sociale.
Ainsi, les auteurs analysent la période de forte croissance d’après-guerre, les fameuses « Trente glorieuses », comme un moment d’alliance « à gauche » des cadres avec les classes populaires, ce qui libéra les conditions d’une forte accumulation de capital, d’un fort progrès technique, d’un forte hausse des revenu et une baisse des inégalités. Mais cela aboutit aussi, à la fin, sous l’effet de la crise du profit de la fin des années soixante, à un blocage de l’accumulation, combattu par le recours à un chômage structurel croissant et une forte inflation qui pratiquait l’« euthanasie des rentiers ». Il en résulta un renversement d’alliance, les cadres rejoignant les capitalistes pour promouvoir et mener les politiques « monétaristes » de restauration des patrimoines et des profits. Le néolibéralisme, dirigé contre l’inflation et les transferts sociaux, succède ainsi au keynésianisme afin de rétablir l’hégémonie de la finance et assurer la « revanche des rentiers » (des capitalistes).
Où cela peut-il conduire ? Le néolibéralisme ne peut pas continuer tel quel, miné par ses contradictions internes, mais les trajectoires suivies sont tendanciellement différentes aux É-U et en Europe. Selon les auteurs, aux É-U, il semble que la tendance soit plutôt à la consolidation d’un néolibéralisme revivifié par les bas salaires et le faible coût de l’énergie (grâce au gaz de schiste), avantages dont il dispose pour l’instant, mais un néolibéralisme « néomanagerial », c’est-à-dire financiarisé et sous domination des cadres.
En Europe, par contre, malgré des différences entre une Allemagne plutôt tournée vers l’industrie et une France qui compte plutôt sur la finance, les structures de gestion et le poids du modèle social peuvent laisser entrevoir une résistance à ce néomanagérialisme. Une possibilité s’ouvre alors de prendre la bifurcation « à gauche », vers un nouveau compromis cadres-couches populaires apte à casser l’hégémonie de la finance, soucieux de retrouver l’autonomie de gestion afin de se mettre à l’abri des effets destructeurs de la mondialisation, ce qui suppose une gouvernance pour le bien commun.
Cette espérance ouvre un vaste programme. Les auteurs sont conscients qu’un nouveau compromis « à gauche » à visée de domination du peuple n’est pas un long fleuve tranquille, et leurs espoirs reposent sur la capacité des alliés à dépasser leur concurrence dans une « démocratie étendue [sous la double condition de démocratie interne dans la classe des cadres et d’autonomie des classes populaires] permettant à la pression populaire de se faire valoir en tant que telle, sans doute le seul véritable contexte susceptible d’empêcher les dérives des ambitions des cadres ».
Entre méfiance envers un enthousiasme excessif et volonté de ne pas renoncer, ce livre veut porter l’espoir que les luttes sociales parviendront à transformer le monde pour peu qu’elles parviennent à le faire bifurquer dans la bonne direction.
Acceptons-en l’augure, même si on peut s’interroger sur certaines bifurcations de l’analyse. Ainsi, il n’est pas certain que la structure de classe bipolaire capitalistes-ouvriers sur laquelle Marx a fondé sa prédiction de la fin de la société de classes soit dépassée. Dans la ligne de Marx, on peut très bien faire des cadres une classe intermédiaire, une nouvelle petite-bourgeoisie, qui n’aura jamais vocation à devenir dominante, mais qui devra un jour choisir son camp. À la fin, le résultat est le même, dira-t-on, et pourquoi ne pas considérer que ce livre explore les principes et les conditions de la transition. À méditer.
Mais à faire de la prospective de temps long, au prétexte de l’urgence, on oublie le temps court, celui de la crise, de la réalité de la vie, on oublie l’état de la conscience de classe des classes populaires, qui peut les conduire à bifurquer à l’extrême droite, autre configuration néolibérale déjà vue, alliant cadres et bourgeoisie. Il manque donc une articulation de la gestion de la crise actuelle aux tendances longues décelées. On peut avoir l’impression qu’aux yeux des auteurs, la crise structurelle ouverte à la fin des années soixante n’est déjà plus qu’un accident de parcours, un épiphénomène, et qu’au fond, l’hypothèse cadriste leur permet, à juste titre, de réfuter le duo catastrophisme du grand soir-gradualisme de la social-démocratie originelle, mais qu’elle n’est pas plus qu’une fiction désincarnée supplémentaire.
- ReSPUBLICA
Pourquoi un nouvel appel aux dons ?
par ReSPUBLICA
Depuis 14 ans, ReSPUBLICA alimente les réflexions et les débats de la gauche républicaine, laïque et sociale de façon indépendante des forces partisanes et a fortiori financières.
Bien sûr cette indépendance a pour contrepartie les limites du bénévolat de la Rédaction et celles des coûts de structure, uniquement liés à l’informatique. Or ceux-ci sont difficilement compressibles lorsque l’audience auprès des militants s’élargit et lorsqu’une périodicité régulière est respectée, comme c’est actuellement le cas. Nous tenterons dans les prochains mois d’améliorer notre système de publication et si possible de le rendre plus interactif en proposant la possibilité de commentaires en ligne. Comme nous l’avions expérimenté il y a un an, nous souhaitons aussi en 2014-2015 vous proposer des moments de rencontre avec les contributeurs de ReSPUBLICA autour de thèmes choisis… qui vous seront communiqués à la rentrée.
Vous aurez remarqué dans une période marquée par les crises de fin de cycle du capitalisme, et plus nettement encore à l’occasion des récentes élections en France et en Europe, que beaucoup de certitudes dans les affiliations militantes vacillent ; les courriers que nous recevons recèlent de multiples « que faire ? »
Vous aurez aussi noté notre insistance à diagnostiquer les erreurs de parcours de la gauche, non pour satisfaire un penchant à la critique et fonder quelque nouvelle chapelle, mais pour mieux éclairer les changements de modèles économiques, politiques, écologiques, sociétaux… et promouvoir l’objectif de changement par l’éducation populaire. L’exigence de formulation des débats de la gauche républicaine, laïque et sociale est la raison d’être du Réseau Education Populaire avec lequel nous coordonnons un certain nombre d’initiatives et dont l’agenda vous est proposé sur notre site. Nous souhaitons là aussi que ce soit avec vous l’occasion de rencontres pour prolonger et élargir la diffusion des analyses du journal.
En pratique, pour nous aider à continuer, vous pouvez faire un don en vous inspirant du barème (indicatif) suivant :
- Chômeurs, bénéficiaires des minima sociaux, étudiants : 10 euros
- SMIC et au-delà: entre 25 euros et 100 euros
Sur la page du site dédiée aux dons http://www.gaucherepublicaine.
Sachez que les dons faits à votre journal sont déductibles de vos impôts : nous adressons à chaque donateur un reçu-don.
L’équipe de la Rédaction reste bien sûr à l’écoute de vos demandes et suggestions pour améliorer ce journal et son audience.
Toutes les propositions de textes à publier et toutes les réactions aux articles adressées (directement à evariste@gaucherepublicaine.or
Ami(e)s qui nous lisez, par avance merci du soutien que vous voudrez bien nous témoigner !