La guerre sociale est bel et bien enclenchée

« La lutte des classes existe, et c’est la mienne, celle des riches, qui la mène et qui est en train de la gagner, » dit Warren Buffet, l’un des hommes les plus riches du monde. Dans les situations critiques, l’oligarchie dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit. Alors que les organisations salariales et politiques n’assument pas la réalité de la lutte des classes, qui se manifeste aujourd’hui par une grande offensive contre les droits culturels, sociaux et politiques, offensive qui va nous conduire à des guerres sociales dans tous les pays. Devant l’impossibilité d’une troisième guerre mondiale (vu le niveau des armements actuels) pour résoudre la crise globale que nous traversons, l’oligarchie engage des guerres sociales dans chaque pays. C’est pourquoi nous devons étudier « les mécanismes par lesquels la violence sociale s’exerce, et ne cesse de s’exercer et de recommencer à s’exercer », afin de se donner les moyens de réinventer une gauche digne de ce nom à l’échelle française, européenne et internationale.

Pour combattre en fonction de ses intérêts la crise du capitalisme, l’oligarchie a organisé la fuite en avant dans la financiarisation de l’économie. Cela a produit la crise financière. Pour combattre, en fonction de ses intérêts, la crise financière, elle a sauvé les banques par un apport massif d’argent public (voir la brève sur les aides d’État aux banques dans le dernier numéro de Respublica ). Cela a produit la crise de la dette publique. Pour combattre la crise de la dette publique, elle a engagé les politiques d’austérité. Cela a produit la crise de la dette publique. Pour combattre la crise de la dette publique, ils ont déclenché les politiques d’austérité pour que les salariés financent directement la dette publique…

Tout cela durera jusqu’au moment où la majorité des salariés et des citoyens n’acceptera plus ce cycle infernal de cette crise systémique. Car aujourd’hui, c’est la seule issue. Voilà pourquoi les campagnes d’explication et d’éducation populaire sont indispensables pour engager le chemin de l’émancipation, de la conscientisation et de la puissance d’agir. Car il faudra bien faire bouger les lignes. Il faudra bien un jour  rompre le cercle infernal de l’alternance électorale  sans alternative politique. Il faudra bien un jour admettre que le syndicalisme d’accompagnement du patronat n’est pas la solution. D’autant qu’avec un gouvernement socialiste ordolibéral, il y a une course de vitesse entre la gauche de gauche d’une part et la droite et l’extrême droite de l’autre.

Nos gouvernants gèrent la crise du capitalisme dans leur propre intérêt

Il faut changer de focale. Croire que le but de nos gouvernants est d’améliorer la situation du peuple est d »un idéalisme touchant. Dire par exemple qu' »ils » ne réussiront pas à résoudre le chômage ou à restaurer la croissance, si cela revenait à dire « eux, ils ne pourront pas sauver le capitalisme, mais nous (d’autres) oui », ce serait nier la crise systémique du capitalisme, pour n’en faire qu’une crise de sa gouvernance, cela procéderait d’une impasse théorique.

À aucun moment, l’objectif de l’oligarchie n’est de réduire le chômage et de répondre aux besoins des travailleurs, elle travaille à la reproduction du système, parce que cela la sert, et elle seule. Son objectif est d’éviter un krach financier qui pourrait être pire que celui de 2007-2008, en utilisant toutes les armes idéologiques à sa disposition pour légitimer la montée du chômage comme armée industrielle de réserve afin de faire baisser les salaires et ainsi faire financer les profits par des politiques d’austérité : le dogme de l’équilibre budgétaire, le dogme de la compétitivité, le dogme de la crise démographique, les inégalités sociales, la précarité, etc. Sa seule crainte est bien sûr que les travailleurs ne l’acceptent plus et arrêtent de croire en leurs promesses et discours.

L’oligarchie utilise les inégalités sociales, les différences de statut et les disparités des travailleurs au sein de l’Union européenne pour essayer de les monter les uns contre les autres. Il est à noter que la région du monde où le différentiel des salaires est le plus élevé est celui de l’Union européenne avec trois groupes de pays, celui des pays les plus développés (Allemagne, Luxembourg, Belgique, France, Pays-Bas, Finlande, Suède, Autriche, Danemark), celui des pays à salaires faibles, deux à trois fois moins élevés (Grèce, Portugal, Slovénie), et celui des pays à salaires de misère, 7 à 10 fois moins élevés (Lituanie, Lettonie et bientôt Bulgarie et Roumanie). Dans ce jeu, c’est l’Allemagne qui tire le plus de bénéfices, elle qui se sert de l’Union européenne pour reconstituer la Mitteleuropa sans payer aucun droit de douane puisque nous sommes dans la concurrence libre et non faussée ! (1)En fait, l’Allemagne est de plus en plus un assembleur de produits réalisés dans la Mitteleuropa allemande, près de 40 % de ses exportations ! En fait, via l’Union européenne, l’Allemagne a réalisé l’échange inégal au sein de l’Union elle-même. Mais l’Allemagne est aussi, des pays développés de l’Union, le plus inégalitaire, grâce aux plans Hartz I, Hartz II, Hartz III et Hartz IV du gouvernement socialiste de Gerhard Schröder de 2003 à 2005 ! Et dire que certains nous montrent ce pays comme modèle !

La gauche hollandaise n’a plus de pensée globale d’avenir

De toutes les gauches au pouvoir, elle est parmi celles qui font le moins rêver. Pire, l’idée que c’est la pensée du Medef qui donne le « la » de son action n’apparaît plus comme une élucubration de l’extrême gauche. Un bruissement du Medef et, au nom du concept flou de « compétitivité », plusieurs dizaines de milliards sont votés pour les entreprises. La réforme fiscale, parlons-en ! Le néolibéralisme a abaissé le taux marginal de l’impôt de 65 % à 41 % et la gauche hollandaise revient à 45 % seulement, on croit faire un mauvais rêve !

Même sur le mariage pour tous, la gauche hollandaise laisse à la droite néolibérale et au cléricalisme de l’église catholique, le temps nécessaire pour mobiliser contre le gouvernement, en fermant les yeux sur la mobilisation de l’école privée confessionnelle, largement financée par l’argent public, au mépris de la loi de séparation des églises et de l’État. Alors qu’elle n’a pas laissé le temps à la gauche de gauche pour mobiliser contre le traité budgétaire. Deux poids, deux mesures !

Pour conduire sa politique, cette gauche hollandaise s’appuie sur des « experts » proche du Medef et sur une bureaucratie néolibérale omnipotente. On retiendra lors d’une entrevue entre le Mouvement de défense de l’hôpital public (MDHP) et la ministre Marisol Touraine que cette dernière donna comme argument, pour ne pas toucher la tarification à l’activité (T2A) pour le financement de l’hôpital, que la « technocratie » ne serait pas d’accord ! Bravo la soumission du politique.

Dans un autre domaine, on voit bien que les deux actes précédents de la décentralisation et le troisième acte en cours participent de l’éloignement du citoyen des décisions, tellement la décentralisation réalisée par la gauche néolibérale depuis 30 ans n’a fait que redonner aux barons locaux les pouvoirs qu’ils avaient dans l’Ancien régime, le mode de désignation en moins. Cet acte III est le triomphe de la thèse du gouvernement représentatif, que Sieyès, au moment de la Révolution française, défendait contre Condorcet et la démocratie. Ce système, nous pouvons l’appeler aujourd’hui système délégataire peu représentatif, en ce qu’il écarte le citoyen de la puissance d’agir durant l’ensemble du mandat, y compris pendant la campagne électorale où les « vrais sujets » ne sont pas abordés. Nous y reviendrons.

Et pendant ce temps-là, que fait la « gauche de gauche » ?

La « gauche de gauche », celle qui doit mener la lutte des classes au profit des salariés (contre Warren Buffet et ses amis), se cantonne malheureusement trop souvent à n’être qu’une « gauche de la gauche ». (2)La « gauche de la gauche » est un vocable inventé par les médias néolibéraux et leurs instituts de sondage attitrés pour classer les opinions des citoyens sur une échelle allant de l’extrême gauche à l’extrême droite et pour préparer l’idée que le meilleur est le refus des extrêmes et donc que le meilleur est « l’extrémisme de l’extrême centre ». Pour que tout change et que rien ne change ! Une partie de la gauche critique se complaît dans ce rôle de « gauche de la gauche », en développant une gauche du verbe haut en couleur et en acceptant sa marginalisation politique sans influence sur les couches populaires, ouvriers et employés (53 % de la population).

Or, cette « gauche de la gauche » se caractérise aussi par des stratégies qui ne sont que de la « dictature de la tactique » pour séduire tel ou tel groupe politique et l’amener à la rejoindre. Ainsi, ici ou là, la « gauche de la gauche » se complait dans le simplisme qui veut que tous les problèmes du monde puissent se résoudre par le surplomb d’une seule et même idée : le bien contre le mal, un projet de loi qui devient l’alpha et l’oméga de la pensée et de l’action, la démocratie participative, le féminisme surplombant, l’écologie surplombante, etc. (3)Même si telle ou telle idée est juste en elle-même, par exemple la nécessité du féminisme ou de l’écologie, le fait qu’elle puisse tout résoudre par elle-même est pure hérésie. Ce cancer de la prééminence surplombante n’est en fait que l’autre face de la même pièce, l’essentialisme, qui vise à la naturalisation d’essences supposées positives ou négatives (la femme éternelle, la décentralisation, le complot de la finance, l’islam, etc.). En fait, une « gauche de gauche » doit, d’après nous, globaliser tous les combats mais sans que l’un surplombe tous les autres. Car, a contrario, on sait ce que deviennent les sociétés où on néglige la nécessité des ruptures et exigences féministes, démocratiques ou écologiques. C’est pourquoi nous appelons de nos vœux une analyse concrète de la situation concrète, dialectique dans sa globalité et dans sa diachronie. Pour construire son projet alternatif, la « gauche de gauche » doit s’appuyer sur des principes constitutifs d’un modèle culturel, politique et social, en explicitant les ruptures nécessaires (démocratique, laïque, sociale et écologique) et ses exigences indispensables (politique d’industrialisation, exigence féministe radicale, géopolitique nouvelle, etc.) au travers d’une stratégie explicite liée aux intérêts explicites des couches populaires (ouvriers et employés) et des couches moyennes intermédiaires.

La gauche des couches populaires et des couches moyennes intermédiaires croit encore à la République sociale, c’est pourquoi les majorités de gauche ont conduit au désastre chaque fois qu’elles ont voulu appliquer les politiques de leurs adversaires et pris leurs électeurs pour des idiots amnésiques.  Et si, par exemple,  la « gauche de gauche » accordait plus de temps et d’énergie à combattre les politiques néolibérales en matière de sphère de constitution des libertés (santé et protection sociale, école, services publics) ou de politique industrielle, qu’elle ne le fait aujourd’hui ? car cela impacte directement les couches populaires et les couches moyennes intermédiaires.
Où sont les lieux de l’expérimentation du futur ? Ici dans telle activité syndicale, là dans telle assemblée citoyenne du Front de gauche, ou encore dans telle ou telle activité d’éducation populaire ou dans telle collectifs de lutte, etc. Mais il manque encore la mutualisation forte de ces expériences remarquables…

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 En fait, l’Allemagne est de plus en plus un assembleur de produits réalisés dans la Mitteleuropa allemande, près de 40 % de ses exportations ! En fait, via l’Union européenne, l’Allemagne a réalisé l’échange inégal au sein de l’Union elle-même.
2 La « gauche de la gauche » est un vocable inventé par les médias néolibéraux et leurs instituts de sondage attitrés pour classer les opinions des citoyens sur une échelle allant de l’extrême gauche à l’extrême droite et pour préparer l’idée que le meilleur est le refus des extrêmes et donc que le meilleur est « l’extrémisme de l’extrême centre ». Pour que tout change et que rien ne change ! Une partie de la gauche critique se complaît dans ce rôle de « gauche de la gauche », en développant une gauche du verbe haut en couleur et en acceptant sa marginalisation politique sans influence sur les couches populaires, ouvriers et employés (53 % de la population).
3 Même si telle ou telle idée est juste en elle-même, par exemple la nécessité du féminisme ou de l’écologie, le fait qu’elle puisse tout résoudre par elle-même est pure hérésie. Ce cancer de la prééminence surplombante n’est en fait que l’autre face de la même pièce, l’essentialisme, qui vise à la naturalisation d’essences supposées positives ou négatives (la femme éternelle, la décentralisation, le complot de la finance, l’islam, etc.).